La Pornographie

Ce dossier a été écrit, il y a quelques années. Il reste toujours d’actualité en « toujours plus« .

Définir la pornographie

Quelle que soit la source à la quelle on puise les informations, il apparaît difficile, voire impossible de trouver une définition réellement efficace de la pornographie. Certaines définitions soulignent ce que la pornographie n’est pas, ou en quoi elle diffère d’autre chose, mais le sens de ce mot demeure aussi obscur que ce qu’il est censé désigner. En effet, les critères culturels, idéologiques, moraux, influencent notre jugement et notre discernement.

Ce qui est désigné comme pornographique pour certains n’est pas reconnu comme tel par d’autres. Par exemple, la nudité est considérée comme obscène aux yeux de beaucoup de religieux intégristes, la vue d’un corps dénudé est comprise comme une  incitation à la débauche. Pourtant, la nudité peut aussi se comprendre selon d’autres critères: mode de vie, bien-être, regard artistique du peintre, du sculpteur ou du photographe.

Aujourd’hui, la tendance veut qu’on préfère au terme “pornographie”, l’expression “représentation explicite de la sexualité”, sans doute moins chargée d’un sens péjoratif collatéral. Le sociologue Ruwen Ogien, privilégie cette expression et ajoutant que parmi les représentations explicites du sexe, ce sont celles jugées “mauvaises” qu’on nomme pornographie, une “bonne” pornographie ne pourrait donc pas exister, puisque par définition elle serait “mauvaise”… ( interview de Ruwen Ogien pour une radio universitaire canadienne. Mai 2005 Pierre Yves Néron et Martin Blanchard). 

On distingue trois types de représentations explicites du sexe

  • •Les illustrations d’anatomie qu’on trouve dans les manuels éducatifs ou destinés aux couples.
  • •Les représentations explicites du sexe inscrites dans un projet artistique.
  • •Les représentations explicites du sexe dont le but est de provoquer une stimulation sexuelle.

On pourrait penser que seules les troisièmes sont pornographiques, or, comme l’explique Ruwen Ogien, rien n’est moins sûr. Un juge américain Potter Stewart aurait prononcé cette phase restée célèbre “ Je ne sais pas ce qu’est la pornographie, mais quand j’en vois, je sais la reconnaître”…

Définir la pornographie se résume à une évaluation qualitative de son contenu, les critères éthiques en cours dans la société servant alors de repères. Alors qu’il semble véniel de suggérer une relation sexuelle par des images ou des mots, même si ceux-ci déclenchent des fantasmes ou des obsessions, montrer les relations sexuelles de façon explicite déchaîne les foudres des bien pensants. 

S’en tenir aux représentations explicites des sexes et de la sexualité semblent un peu restrictif et surtout inexact. En effet, comment qualifier les représentations explicites d’un schéma anatomique, est-ce encore de la pornographie? Pourtant, il est arrivé en effet que certains manuels tombent sous le couperet des censeurs.

Certaines représentations artistiques appartenant à des civilisations non occidentales, nous semblent bien appartenir aux oeuvres d’art, pourtant elles montrent parfois elles aussi de façon explicite le sexe, et l’acte sexuel.

La pornographie montre en fait une certaine image du sexe, et contrairement à ce que croient encore beaucoup, il ne s’agit en aucun cas d’une représentation réaliste. L’image qu’on qualifie de pornographique dans notre culture se caractérise par:

La segmentation des corps, en effet, il est rare de voir le corps entier, surtout celui de l’homme qui est réduit à son pénis en érection. Le corps de la femme, reste très présent, mais toujours découpé, l’image s’attache surtout à en montrer les orifices. 

L’image vaut en elle-même, elle ne conduit pas le spectateur à rêver ou imaginer, il n’y a rien à interpréter, ni à deviner. Il y a comme une auto-suffisance de la représentation. Le spectateur n’a pas besoin de créer l’image dans son “théâtre mental”.

Les philosophes, quant à eux retiennent cinq éléments comme pertinents pour rendre compte du caractère pornographique d’un document:

– Il faut que les images soient créées dans l’intention de provoquer une stimulation sexuelle du consommateur.

– Il faut que le consommateur éprouve des réactions émotionnelles ou cognitives, positives ou non, la pornographie interpelle.

– Il faut aussi que  la pornographie déclenche des réactions émotionnelles ou cognitives chez les gens qui n’en consomment pas.

– Le “style” de la pornographie représente explicitement des activités sexuelles non simulées: gros plans sur les organes sexuels, pénétrations, parler cru, etc…

– L’aspect “narratif” met en scène des situations dites de “dégradation”, de “réification”, les acteurs semblent déshumanisés.

Repères historiques

Le mot “pornographie” vient du grec (πορνογραφια, pornographia, “porné” désigne la courtisane, la prostituée, et grafein est un verbe qui signifie “écrire”).  Au XVIIIe siècle et XIXe siècle, le mot “pornographie” s’applique à des travaux, souvent très sérieux, visant à réglementer l’activité des prostituées, et celle des lieux de leur exercice. En 1769, l’éditeur français Delalain publie un ouvrage de près de 400 pages attribué à un anglais, Lewis Moore, c’est en réalité Nicolas Restif de la Bretonne qui en est l’auteur. Ce livre, intitulé le Pornographe rassemble “les idées d’un honnête homme sur le projet de règlement des prostituées” et propose une réforme complète de la prostitution. On y trouve une curieuse nomenclature de ces professionnelles et les statuts que la Reine Jeanne de Naples aurait donné en 1347 à un lieu de débauche situé en Avignon. Restif de La Bretonne est considéré comme un auteur de textes pornographiques, car ses écrits se veulent en rupture avec l’hypocrisie ambiante du 18ème siècle, et utilisent pour cela un vocabulaire réaliste. 

Par son étymologie, le mot pornographie désigne aussi la représentation explicite de l’acte sexuel: images, vidéos, mais on ne peut exclure d’autres formes comme les écrits et les chansons. La pornographie a pour but de provoquer et stimuler l’excitation sexuelle en exposant les actes sexuels au yeux et aux oreilles d’un public le plus souvent masculin. Le mot “prostitution”, d’origine latine, évoque le fait d’exposer, de mettre en avant aux yeux du public. Dans l’antiquité, la prostituée est celle que tout le monde peut voir, tandis que les autres femmes demeurent hors de la vue du public, soit confinées dans leurs maisons, ou strictement voilées lorsqu’elles en sortent. 

Il semble que les représentations explicites du sexe comme de l’acte sexuel fassent partie intégrante de la culture humaine. Certains vont même jusqu’à affirmer que l’on observe dans le monde animal, et notamment chez les primates, certaines conduites sexuelles présentes elles aussi dans la pornographie. Et de citer le cas où un singe mâle dominant, copule avec une femelle sous le regard des autres mâles qui se masturbent énergiquement.

Prétendre que la pornographie est une invention récente comme certains le pensent, c’est oublier que, de tout temps ont existé des représentations explicites de l’activité sexuelle, dont le but n’est pas de révéler les secrets des mathématiques appliquées, mais bien de stimuler sexuellement.

Dans l’antiquité, on découvre des représentations explicites du sexe très nombreuses et très variées, celle-ci a été trouvée à Pompei dans une maison particulière, elle représente un couple faisant l’amour. Ce qui classe d’emblée ce tableau dans le genre érotique( à l’époque de sa découverte, il était qualifié de pornographique), c’est la posture où la femme domine, ce qui dans les moeurs antiques n’est pas le fait d’une épouse “comme il faut”, ni celui d’un époux bien conforme à son rôle en regard des critères de l’époque.

Signalons au passage que les tableaux et les objets à caractère sexuel découverts au XIXèe siècle à Pompéi ont été très rapidement enfermés au musée de Naples. L’entrée du “cabinet secret” était interdite alors aux femmes, aux enfants, aux pauvres et aux personnes âgées.

La culture antique, égyptienne, grecque et romaine, fait un usage important des représentations sexuelles, et notamment du sexe de l’homme. Un culte est rendu à des divinités comme Dionysos (Bacchus), Osiris, qu’on célèbre dans des temples, et auxquelles on prête un certain nombre de pouvoirs, comme la virilité, la vitesse, le courage, la force, etc… Le bronze ci-dessous représente un phallus ailé, en forme de lion également doté d’un sexe,

d’une queue et de pattes, il est orné de clochettes. Certains cultes, ou mystères sont accomplis avec des pratiques sexuelles collectives. Culte d’Isis, de Mithra (ancêtre d’Aphrodite), et mystères d’Eleusis.

Dans l’Antiquité grecque, le banquet appelé aussi “symposium” se termine par une beuverie orgiaque. Alors que les femmes et les jeunes se retirent de la salle, entrent les joueuses de flûtes, courtisanes et musiciennes qui mettent leurs talents au service des convives.

fresque  découverte à Pompéi, dans la maison dite du Centenaire.

La sexualité fait partie de la vie, elle est souvent représentée de façon réaliste et n’est pas culpabilisante, c’est le christianisme qui va pour longtemps lier le sexe au péché. Ce qui auparavant semblait naturel, agréable et désirable va devenir bientôt sous l’influence des pères de l’église, obscénité, faute, et péché originel. 

Dans son livre “ Traité d’Athéologie”, le philosophe Michel Onfray explique l’origine de la haine à l’égard de la femme par les grandes religions monothéistes. C’est ce refus du plaisir, ce déni des corps qui paradoxalement va transformer la représentation du sexe en pornographie. 

Dans l’antiquité, la représentation du sexe demeure toujours réservée à l’espace privé et aux lieux de plaisirs. Peu à peu, au fil des siècles l’Eglise parviendra à amalgamer le sexe (surtout celui des femmes) et le diable. Aujourd’hui encore, le rayon érotique d’une bibliothèque se nomme un “enfer”.

Au Moyen-âge comme à la renaissance, la pudibonderie et l’hypocrisie ont gagné du terrain. Si l’on continue à pratiquer les plaisirs charnels, c’est avec un sentiment de culpabilité, et leurs représentations comme leur évocation littéraire et poétique se dissimule dans la clandestinité. 

Au 15ème siècle, on voit refleurir des oeuvres littéraires mettant en scène la sexualité dans une ambiance résolument tournée vers la recherche du plaisir et l’exacerbation du désir. Jean Boccace, (Giovanni Boccaccio, écrivain italien né en 1313 à Certaldo ou à Florence, mort le 21 décembre 1375 à Certaldo) compose entre 1348 et 1358 le texte intitulé “Décameron” et dont, à partir de certains épisodes, le cinéaste italien Pier Paolo Pasolini fera un film en 1971. Cette oeuvre rend compte de l’expression d’une sensualité qui se caractérise par sa candeur et sa crudité. 

Boccace a un ami fidèle en la personne de Francesco Petrarca ou Pétrarque (érudit, poète et humaniste Italien né le 20 juillet 1304 – décédé le 18 juillet 1374). Avec Dante, ils sont considérés comme les pères de la Renaissance.

Ces auteurs partagent une passion pour l’Antiquité grecque et romaine, ils s’appliquent à en retrouver la ferveur et le goût du savoir.

Au 16e siècle, un autre auteur italien naît en 1492, l’année même où son compatriote Christophe Colomb découvre les Caraïbes, il s’agit de Pierre, dit l’Arétin. Il mène une vie un peu aventureuse qui lui vaut d’être banni d’Arezzo, sa ville natale. Il se retrouve bientôt à Rome, protégé d’un riche mécène. Il ne tarde pas à se faire connaître par des écrits satiriques: les Sonnets Luxurieux illustrés de gravures pornographiques de Giulio Romano, l’un des élèves préférés du Grand peintre Raphaël. Ces facéties le discréditent gravement auprès du pape Léon X.

En France, à la même époque, François Rabelais (né à La Devinière, près de Chinon, Indre-et-Loire, vers 1493 ou 1494 – décédé à Paris, en Avril 1553) médecin et écrivain s’inscrit dans le mouvement humaniste et lutte avec ardeur pour l’avancée des connaissances dans un idéal forgé sur la pensée de l’Antiquité. L’oeuvre littéraire de Rabelais est rédigée en français et non en latin comme le voulait la coutume. Rabelais décrit avec un langage cru, hyper réaliste, un insatiable appétit de vie dans toutes ses dimensions intellectuelles autant que charnelles et sexuelles. Comment s’étonner alors de voir son oeuvre mise à l’index?

Au siècles des Lumières

« La dépravation suit le progrès des lumières. Chose très naturelle que les hommes ne puissent s’éclairer sans se corrompre. »

Nicolas Restif de la Bretonne  – Le pornographe

Un amalgame est établi entre l’acquisition du savoir et la corruption de l’âme. C’est le principe du péché originel. Le démon tentateur vient offrir à Eve la liberté de penser par soi-même, mais la facture est lourde…

Au siècle des Lumières, le libertinage se pratique couramment, mais doit demeurer secret. Montesquieu, et Voltaire s’appliquent à contester l’autorité absolue du pouvoir et à valoriser l’utilisation de l’intelligence dans la quête du savoir et de l’autonomie. Des textes plus ou moins licencieux circulent sous le manteau, à commencer par ceux de Nicolas Restif de la Bretonne (1734-1806), peu intéressants au plan littéraire, et finalement plutôt moralisateurs.  Le plumitif brille davantage par son orgueil que par son talent. Il imite Jean-jaques Rousseau et se proclame comme de loin supérieur à son modèle…

Au XVIIIème siècle, Donatien Alphonse François de Sade, 1740-1814, écrivain français, philosophe et libertin produit des oeuvres qui seront immédiatement mises à l’index. Il utilise la pornographie et la violence qu’il mêle à un discours philosophique les justifiant. Ce personnage sulfureux passera une trentaine d’années de sa vie en prison, à cause de ses inconduites et de ses écrits.

L’oeuvre du marquis de Sade marque profondément l’univers de la littérature comme de la philosophie. De nombreux intellectuels se livrent à des lectures savantes de ses écrits, mettant en exergue sa quête de liberté et son rejet des signes de l’autorité. Les romans de Sade mettent toujours en scène des personnages qui représentent l’ordre établi, magistrats, religieux, notables, et il les dépeint dans leurs turpitudes les plus obscènes et les plus cruelles.

Richard Freiherr von Krafft-Ebing (1840-1902) médecin pionnier de la Sexologie, et auteur d’un traité des perversions sexuelles (Psychopathia Sexualis), crée le terme “sadisme” pour décrire les perversions dont le célèbre Marquis s’est fait le champion.

Au XXe siècle, La pornographie ne s’arrête pas pour autant, comme en témoignent les enfers des bibliothèques. L’éditeur Jean-Jacques Pauvert, décédé depuis quelques années qui s’était spécialisé dans la publication de la littérature érotique possédait un immense catalogue d’écrits divers, allant de la plus pure poésie amoureuse, à sa description la plus crue. Les années 70, ont marqué le début d’une période beaucoup plus tolérante à l’égard de la sexualité. Mais, cela ne durera guère. En France, notamment, le climat de libération des moeurs permet l’émergence de diverses publications, petites annonces explicites, clubs échangistes, et surtout cinéma X. On pouvait imaginer que cette libération allait fournir un cadre propice à une création artistique de qualité, pourtant, cela ne s’est pas confirmé, au contraire, le cinéma X a été remis au placard, lourdement taxé, et a continué de produire des films d’une indigence extrême.

Actuellement, La photographie, le cinéma, et surtout la vidéo sont aujourd’hui à la portée de tous et notamment grâce à l’Internet. La pornographie, longtemps confinée dans la clandestinité, s’affiche désormais un peu partout, sans qu’on puisse affirmer pour autant que nous vivions dans une époque libertine. Certains mouvements, comme les gays revendiquent la pornographie comme une part représentative de leur culture. Des clivages importants dans les mouvances féministes font apparaître des avis fortement opposés quant à la pornographie. Des auteures comme Catherine Millet, utilisent un style particulièrement cru pour rendre compte de la sexualité, de représentations explicites, on passe parfois à des représentations hyperréalistes. Ni les unes, ni les autres, ne rendent compte pour autant d’une sexualité épanouie et  jubilatoire, signe d’un réel projet hédoniste.

La pornographie en tant que telle n’est donc pas une invention récente, en revanche, le “problème” de la pornographie a surgi du fait que, pendant des siècles, ces représentations ne sortaient pas du cadre d’un “happy few” social. Seuls les gens instruits ou riches pouvaient se procurer des livres, des objets, des représentations graphiques pornographiques. Quand, par l’accession à l’éducation et au media, tout un chacun s’est mis à “consommer” de la pornographie, il est apparu comme une urgence absolue de contrôler le phénomène.

Quels arguments seront-ils  avancés pour contrôler la production pornographique? Ou au contraire pour refuser de l’interdire. Jusqu’où le censeur peut-il aller? Que deviennent des valeurs comme la vie privée, la liberté individuelle, la liberté d’expression face aux censures qu’elles s’appliquent à la pornographie ou à tout autre chose….

Pornographie et érotisme

On prête généralement à l’érotisme des qualités artistiques que l’on n’attribue pas à la pornographie. Pourtant, il est permis de se demander jusqu’où peut aller l’érotisme, et où donc commence la pornographie. 

Certaines oeuvres littéraires ou picturales dont le caractère sexuel choquaient les bien pensants à l’époque de leur production n’éveillent aujourd’hui qu’un léger sourire, quand elles ne suscitent pas une interprétation très différente. Le tableau d’Anne-Louis Girodet (1727-1824)  intitulé “le sommeil d’Endymion” (présenté en 1792) montre un homme nu, endormi dans une posture d’abandon que certains jugent lascive, le sujet ne présente pas de musculature apparente comme l’exige la norme de l’époque. L’artiste, dont le talent est aujourd’hui incontesté, passe pour incontrôlable, ses oeuvres exaltent les sentiments, et surtout la sensualité. 

L’oeuvre du Marquis de Sade fait souvent aujourd’hui l’objet d’une lecture idéologique qui occulte en partie ses traits pornographiques.

Qualifier une oeuvre de pornographique ou d’érotique relève davantage de critères moraux, ou idéologiques que de faits objectifs, il est en effet difficile voire impossible d’assigner des territoires précis à l’un ou l’autre genre.

Le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel, CSA, distingue quant à lui quatre catégories d’oeuvres:

– Le “charme” qui interdit de représenter les sexes sexuels masculins au repos ou en érection, les pénétrations et la masturbation. Le côté “glamour” ou “sexy” doit être souligné, mais on ne voit pas très bien à quoi cela correspond précisément.

– Le genre “érotique” est autorisé à représenter des scènes explicites pourvu que ce soit en plan large, la caméra est placée de façon à montrer l’image des corps en entier. Dans ce genre, aussi bien les fellations non simulées que et les cunnilingus sont interdits. Mais peut-on montrer ces pratiques simulées? Le censeur ne le précise pas.

– Les deux autres genres “Carré rose” et “Hard” montrent tout ce que les autres excluent: gros plans, sexes en érection, fellation, cunnilingus, pénétrations, le tout non simulé, représenté de façon explicite.

Pourtant, comme le fait remarquer Ruwen Ogien, des documentaires médicaux ou éducatifs qui représentent des rapports sexuels non simulés ne sont jamais classés “Carré rose” ni “hard”…

L’érotisme, dans ses définitions habituelles, est censé suggérer ce que montre la pornographie….

Les dangers de la pornographie

Photo d’Annabelle, sur le Blog de John B.Root

Il est de bon ton aujourd’hui de présenter la pornographie comme un danger, les prises de positions des pornophobes s’appuient sur différents arguments. L’écrivain russe Alexandre Soliénitsine disait “On asservit mieux les hommes avec la pornographie qu’avec des miradors.” Il est permis cependant de s’interroger sur le bien fondé de ces arguments.

Les pornophobes pensent que la pornographie diffuse une image dégradante de l’être humain et surtout de la femme, montrée dans des situations humiliantes et “exploitée” cyniquement. Son aliénation étant d’autant plus forte qu’elle semble apprécier le jeu… Poussé à l’extrême cet argument va jusqu’à dire qu’une femme exposée à la pornographie risque une atteinte grave à son identité pouvant même endommager ses compétences citoyennes… 

Les pornophobes voudraient aussi interdire la pornographie aux jeunes ; ils découvrent avec consternation que dès l’âge du collège et parfois même avant, les ados et pré-ados ont déjà quelque expérience de la pornographie. 

Il s’agit de prendre la défense des “faibles”, parce qu’on imagine que, manquant de discernement et de réflexion, ils pourraient être tentés d’imiter ce qu’ils voient dans les représentations pornographiques. On trouve souvent citée cette affirmation: “la pornographie c’est la théorie, le viol, la pratique…” 

L’ouvrage de Michela Marziano et Claude Rozier Alice au pays du porno, expose les résultats d’une enquête menée auprès de lycéens à propos de la pornographie. Les auteures utilisent un questionnaire et des entretiens individuels, ou par deux. Elles dégagent différents “portraits” d’adolescents, garçons machistes, sexistes, filles soumises semblent les plus répandus. Dans tous les cas de figure, les enquêtrices mettent en exergue l’aliénation des jeunes et tentent par leurs questions de faire émerger des réactions de rejet vis à vis de la pornographie. Pourtant, il apparaît clairement que la grande majorité des jeunes ayant participé à l’enquête, soit tout à fait capable de faire la distinction entre leur propre sexualité, celle qu’ils désirent dans leur devenir d’adulte, et ce que montre la pornographie. Certes, ils dissocient le sexe des sentiments, comme c’est d’ailleurs le cas dans les logiques qui prônent avant tout la fonction procréatrice de la sexualité. Les auteures ne cachent pas leur prise de position pornophobe, ce qui n’a pas manqué d’influencer les réponses des ados interrogés. Pour aller plus loin, on peut lire avec attention le questionnaire présenté en annexe de l’ouvrage.

D’autres enquêtes sociologiques méritent aussi qu’on s’y attarde un peu, c’est notamment le cas du rapport commandé par le Président des Etats Unis en 1967, et celui de la commission Meese, commandée par l’administration Reagan en 1984. Bien que cela date un peu, ses conclusions ne manquent pas d’intérêt aujourd’hui.

Dans les deux enquêtes, trois questions étaient explorées:

– La pornographie accroît-elle les tendances au viol (effet d’imitation “Monkey see, Monkey do”)?

– Existe-t-il une corrélation entre les agressions sexuelles et l’exposition à la pornographie?

– Les agressions sexuelles et les viols sont-ils diminués par la consommation de pornographie? (le consommateur soulage ses tensions sexuelles, s’habitue et se désintéresse de la pornographie…)

Pour le rapport Johnson,  l’exploration des deux premières hypothèses a montré que la consommation de pornographie n’accroît pas les agressions sexuelles, et qu’il n’y a pas de corrélation entre la tendance au viol et la consommation de pornographie. Enfin, il semble que tout au contraire, la pornographie diminue la tendance au viol et aux agressions sexuelles.

D’autres études sont venues confirmer celle-ci; le profil des violeurs n’inclut pas la consommation de pornographie, par contre, un milieu familial violent, répressif, une éducation puritaine et misogyne semblent des facteurs favorisant les conduites sexuelles agressives.

Mais,  la commission Meese 1984-1986, établissait tout le contraire. Six des onze  membres de cette commission appartenaient à des mouvements religieux, adversaires acharnés de la pornographie, qui à la suite de l’évaluation de leur enquête ont reconnu qu’ils avaient sélectionné les témoignages en se basant davantage sur leurs intuitions personnelles que sur des faits scientifiques. 

Dans le domaine de la pornographie, il semble bien difficile de mener une étude réellement objective. C’est d’ailleurs très intéressant de constater à quel point les “experts” manquent de discernement et explorent les faits à la lumière de leurs croyances. 

L’enquête la plus sérieuse en ce domaine a été menée au Japon sur une durée de 25 ans ( 1972-1995), par Milton Diamond et Manoa John A. Burns “ Pornography, Rape and sex crimes in Japon” pour l’International Journal of Law and Psychiatry. Cette étude statistique a établi qu’au cours de cette période de “libération” sexuelle, les “crimes sexuels” n’auraient pas augmenté, mais plutôt diminué, même en tenant compte du fait que les victimes hésitent moins à porter plainte. Des études similaires en Europe, Allemagne, Suède, et Danemark ont abouti aux mêmes résultats.

Les positions pornophobes insistent beaucoup sur le fait que la “dignité humaine” serait menacée par la pornographie qui réduit les êtres humains à des “objets”. Cette affirmation nous renvoie au clivage classique entre érotisme et pornographie, le premier devant suggérer ce que montre la seconde. C’est en effet le “regard” pornographique dénué de sentiments qui justifie l’accusation. Dans l’oeuvre érotique, le spectateurs est censé avoir accès à “l’âme” des personnages, tandis que dans l’oeuvre pornographique, il ne  dispose que de la seule vue des corps le plus souvent segmentés.

Il s’agit de comprendre la faiblesse de l’argument et d’en examiner l’enjeu. Chacun est libre de condamner la pornographie, en raison de ses dangers, mais encore faut-il les prouver. En revanche, il semble que les pornophobes cherchent davantage à imposer une certaine idée de la sexualité, la leur, au détriment d’autres représentations. Pour y arriver, tous les moyens sont bons, à commencer par ces accusations qui, si on cherche à les examiner de plus près ne résistent guère à l’analyse.

Sous prétexte de protéger les ados, et les femmes, on n’hésite pas à les désigner non pas comme des victimes, mais comme des coupables potentiels. La curiosité des adolescents apparaît comme pathologique, voire même délinquante quand il s’agit de la pornographie, mais aussi de heavy metal, de rave et autres expériences tant prisées… Les jeunes seront “pathologisés” parce que leur représentation de la sexualité n’est pas la “bonne”, et les femmes parce que la pornographie ajoute une dimension incorrecte à leur identité susceptible de les “dégrader”. Sus au serpent tentateur! Voilà Eve renvoyée à ses fourneaux et à sa marmaille…

John B. Root, écrivain, journaliste, et pornographe écrivait en 2002 à propos des “dangers” de la pornographie et de l’hypocrisie des médias et des politiciens (es).

LETTRE OUVERTE D’UN PORNOGRAPHE CONSTERNE.

“Jack Lang, en 82. Féroce et obstiné. 19 ans plus tard, Ségolène Royale. Une fois, deux fois, revenant à la charge. Puis, tout récemment, Dominique Baudis puis Christine Boutin appelant le parlement à la rescousse. Ils s’y mettent tous, à gauche, à droite, du Figaro au Nouvel Obs. C’est l’hallali. « Pour protéger nos enfants », disent-ils tous. Ah bon ? Les protéger de quoi ? De la guerre, de la famine, de la brutalité, des maladies ? Non. Pour les protéger du spectacle de l’amour physique. Présupposé de leur sainte croisade : le sexe c’est sale, c’est dangereux ; la vue d’une caresse ou d’un accouplement est nuisible à l’équilibre psychologique de nos têtes blondes. Voici donc le nouvel étendard sacré : la protection des jeunes générations. Il est bien, cet étendard. On peut se cacher derrière. Celui qui ne s’y rallie pas est forcément un anarchiste et un pédophile. Haro sur le porno télévisé.
En 1999, dans « Porno Blues » Editions de La Musardine, j’écrivais ça :
« … Le X, tel qu’on le connaît, est le fruit des enfants de 68, c’est un bien culturel précieux. En 1975, Jean Royer, maire de Tours interdisant les pornos dans sa ville soulevait des vagues d’indignation. Comme il est loin ce temps-là… Et comme il faut être aveugle pour croire, comme on le lit partout, que le combat contre la censure et l’ordre moral a été gagné. Avez-vous remarqué que jamais, depuis longtemps, la société française n’a été aussi frileusement réactionnaire face à la liberté des mœurs ?… Pierre Louÿs, Apollinaire, Georges Bataille, Tony Duvert, Gérard Damiano seraient en prison s’ils proposaient aujourd’hui ce qu’ils nous ont offert hier…. »
En 2002, on y est. Face au mur. Les censeurs haussent le ton, voyant dans le nouveau gouvernement un allié de poids pour montrer leur force. Et personne, en face d’eux, ne se lève pour leur donner tort. Les plus modérés fuient le débat en se disant : « Ben oui, c’est pas beau la censure. Mais le porno, c’est pas terrible non plus. » Ou bien : «C’est un combat truqué. Le porno, qui est une entreprise commerciale et non pas artistique, profite à des groupes de communication qui me sont antipathiques. Si la disparition du porno à la télé fait du tort à Canal, TPS, TF1 ou XXL, ça m’est égal. » Ah bon ? Ca vous est égal ? Ca vous est égal qu’un groupe de gens s’arroge le droit de décider ce qui peut être vu ou non par leurs concitoyens ? Ca vous est égal qu’on vous juge assez crédule pour vous offrir, dans un même panier, des faits aussi disparates que la criminalité des banlieues, le malaise des jeunes, l’échec scolaire, l’augmentation du nombre des divorces, des affaires criminelles (l’affaire Dutroux) et qu’on vous dise que tous ces fléaux ont pour seule cause le X mensuel de Canal ? Il ne vous semble pas que ce saisissant raccourci est quelque peu démagogique ?”

Le véritable risque de la pornographie, c’est celui de la misère culturelle. Les ados qui grandissent dans des univers virtuels où les écrans occupent une place démesurée, donnent un sens particulier à leurs environnements relationnels et conceptuels: ils sont déconnectés de la réalité sensorielle, émotionnelle, existentielle. Alors, certaines mentalités se développent: on est prêt à tout pour faire le « buzz » et maintenir l’illusion qu’on va devenir une “star”, comme par magie… 

Comme le montrent Michela Marzano et Claude Rozier, l’apprentissage de la sexualité s’effectue aujourd’hui davantage par la pornographie que par les manuels de sexologie et encore moins par les travaux pratiques. Or, la pornographie qui envahit Internet, est un leurre, une imposture, elle vient s’ajouter à la liste déjà fort longue des arnaques médiatiques. La pornographie en tant que telle n’est pas dangereuse (de nombreuses études le montrent), ce qui l’est bien davantage c’est la place qu’elle prend dans la misère culturelle de ses spectateurs….

Au fond, en quoi la pornographie dérange-t-elle vraiment? Il s’agit de la véritable question, celle à laquelle les pornophobes évitent de répondre. Nous devons admettre que, dans une société de type démocratique, chaque liberté est assortie d’un risque et ce que l’on permet aux adultes, les jeunes y ont partiellement accès. Pour protéger totalement les jeunes de la pornographie, il faudrait que les adultes montrent l’exemple en y renonçant complètement. 

Doit-on, au nom du risque zéro et du principe de précaution, interdire aussi la vente de boissons alcoolisées, celle des automobiles et des cyclomoteurs et de tout produit dont l’utilisation présente un danger potentiel?

Protéger les jeunes de la pornographie a un coût, celui de la liberté d’expression, et les choix éthiques ne sont pas simples, faut-il légiférer en tenant compte avant tout des conséquence potentielles ou bien en pratiquant une sorte de respect inconditionnel de certains droits?  Une réflexion morale réaliste devra tenir compte de ces deux contraintes…

Photo censurée par John B. Root sur son blog

Les chiffres qui « tuent », l’industrie pornographique, une affaire très lucrative...

Karen, sur le site de John .B.Root

Si la pornographie est indissociable du commerce, c’est seulement depuis les années 90 qu’elle a pris un essor considérable, devenant une véritable industrie. Sans mettre en cause les chiffres, nous devons admettre qu’une part non négligeable de la production s’effectue toujours de façon plus ou moins clandestine, et qu’il peut exister un décalage très important entre les chiffres et la réalité.

Les adversaires de la pornographie ont d’ailleurs tout intérêt à gonfler les chiffres, à la manière des poissons-lunes qui décuplent leur volume pour se rendre plus redoutables, plus elle aligne de zéros plus la menace semblera réelle.

Le sociologue canadien Richard Poulin de l’Université d’Ottawa associe la “naissance” de la pornographie à celle du magazine Play Boy en 1953. Actuellement, le chiffre d’affaire mondial s’élèverait à une centaine de milliards d’euros. L’industrie pornographique arrive au troisième rang au Danemark… Les États-uniens dépensent entre 1 et 2 milliards de dollars US pour obtenir du matériel pornographique via Internet: vidéos et autres gadgets. Sur le web, on dénombrait environ 22000 sites pornographiques en 1997, on en compte 280000 en 2000, et combien aujourd’hui?

La majorité des infrastructures états-uniennes de production se situent en Californie où l’industrie pornographique déclare employer 20 000 personnes et reverser 31 millions de dollars US en taxes à l’achat pour le seul secteur des ventes de vidéo . En 2000, 11 000 vidéos pornographiques ont été produites aux États-Unis et l’industrie du sexe en ligne a enregistré un chiffre d’affaires de 1,8 milliard de dollars.

Bien qu’il soit assez difficile d’estimer avec précision le chiffre d’affaires d’un site pornographique, les analystes américains évaluent les gains de 10 000 à 15 000 dollars US par jour. ( Gazette de Montréal, 19 Mars 1997).

En 1998, selon la revue “Enough is Enough” près de 200 nouveaux sites pornographiques seraient apparus chaque jour.

Enfin, selon une étude réalisée pour une chaîne de télévision américaine (MSNBC), sur les 57 millions d’Américains qui utilisent Internet, 50% consulteraient des sites pornographiques et ceci de 1 à 10 heure par semaine

Richard Poulin juge que la vague pornographique prend les proportions d’une véritable déferlante. La pornographie est à la mode, et revendique une légitimité, pour mieux faire oublier sans aucun doute les abus et dérives pédophiles en constante progression. Il affirme en outre que l’industrie pornographique est intimement liée à la prostitution et qu’une grande partie des acteurs travaillent sous la contrainte et sont victimes d’abus de toutes sortes. Cette position ne fait pas l’unanimité, loin s’en faut!

A quoi sert la pornographie?

Photo censurée, empruntée au blog de John.B Root

Avec un chiffre d’affaire impressionnant, une diffusion envahissante, notamment grâce à l’Internet, une consommation semble-t-il en augmentation, on peut s’interroger sur le rôle réel de la pornographie. Or, nous savons que, d’une façon très générale, les femmes s’y intéressent moins que les hommes, ou de façon assez marginale, quant aux jeunes filles elles la désapprouvent dans leur grande majorité ( Michela Marzano). Bien qu’aujourd’hui de plus en plus de jeunes femmes n’hésitent pas à s’exposer de manière explicite sur les réseaux sociaux.

Néanmoins, c’est surtout, encore le public masculin qui fait usage de la pornographie, jusqu’à quand?

Les images et les textes qualifiés de pornographiques sont conçus pour provoquer une réaction d’excitation sexuelle. Le pornographe ne s’embarrasse pas de jolis détails, il braque l’oeil de sa caméra sur l’activité sexuelle de la façon la plus explicite: gros plans sur le sexe masculin en érection, pénétrations, fellations, cunnilingus, sodomie, et autres pratiques. Le spectateur se trouve en quelque sorte pris en otage de l’image car il ne lui reste rien à imaginer, c’est la “prise de tête” à niveau zéro… La pornographie n’est pas un spectacle destiné à faire réfléchir, il n’y a pas lieu de se préoccuper d’un ou d’une partenaire, pas plus que d’adapter son comportement aux désirs de l’autre, ni de donner du plaisir. Le seul plaisir qu’autorise le spectacle pornographique est de type masturbatoire…

La pornographie rend une sorte de culte au phallus, il est présent en permanence, érigé, et le plus souvent de taille impressionnante, le spectateur sera d’autant plus réceptif qu’il cherche à s’identifier à une telle “puissance”. Le spectacle pornographique devient alors un miroir, certes déformant) pour le spectateur, qui à son tour va honorer ce “dieu”, qui n’est autre que lui-même! Si on exploite cet argument à l’extrême, on peut presque dire que la pornographie est un spectacle homophile…

Comment s’étonner alors de la façon dont la femme est représentée? Elle est montrée comme une sorte de caricature inversée du mâle, à un sexe masculin intrusif et agressif correspond un gouffre sans fond, comme une bouche affamée à l’appétit insatiable…

Dans un dossier précédent, nous avons posé l’existence de deux niveaux de la sexualité, un niveau compulsif et pulsionnel, et un niveau relationnel. Tandis que l’homme peut choisir de fonctionner au niveau pulsionnel ou relationnel, la femme privilégie et de loin le niveau relationnel de la sexualité, ce qui explique son manque d’enthousiasme pour la pornographie qui frustre son spectateur de toute dimension relationnelle pour le maintenir au niveau pulsionnel, c’est à dire masturbatoire.

Maintenant, faire la distinction entre les deux niveaux demande un minimum d’éducation, pour accéder au niveau relationnel de la sexualité, il est nécessaire d’accomplir un certain parcours personnel à l’issue duquel le plaisir le plus intense sera dans le partage du plaisir. Bien sûr, dans cette optique, un couple pourra très bien user des pratiques les plus coquines, telles qu’elles sont parfois montrées dans les films. Mais, les documents pornographiques ne peuvent en aucun cas enseigner la qualité relationnelle, si précieuse dans la sexualité.

– Le film X et l’expression du désir féminin

Image de Mia, aimablement prêtée par John B.Root

S’il est un sujet à propos duquel un consensus bien pensant s’impose, c’est bien la comparaison entre érotisme et pornographie. Pourtant, à y regarder de plus près, les genres se rejoignent plus qu’on ne l’admet comme le suggère fort à propos l’aphorisme « la pornographie c’est l’érotisme des autres… ». Souvent, les gens parlent sans savoir et sans expérience, c’est notamment le cas pour les jeux vidéos, les messageries instantanées, et, bien entendu les films pornos.  Pas de pudibonderie excessive donc, on admettra qu’il vous est  arrivé de « tomber » sur un film X, au hasard d’un zapping insomniaque,  et que vous vous y êtes  attardé « juste pour voir »…

Choqué (e) ? Sans doute, l’étalage de chairs ne fait-il pas l’unanimité… La pornographie est un style d’expression codé en fonction de critères constants,  rentable, utilitaire, et nécessairement simpliste jusqu’au caricatural… La pornographie ne reflète pas la réalité d’une relation sexuelle, ce n’est pas son but, elle n’est pas faite pour faire rêver, mais pour procurer une excitation et si possible une jouissance rapide au spectateur pris en otage des images. 

La pornographie expose des corps ou plus exactement des parties corporelles: gros plan sur le sexe érigé en pleine action, et l’orifice dans lequel il pénètre. Le corps vu en entier n’est pas pornographique, seuls les organes utiles le sont dans leur béance ou leur arrogance… 

La femme y est nécessairement consentante, prompte à l’invite, et quasiment muette… C’est en effet par des gestes, des postures, des mimiques et quelques gémissements qu’elle va exprimer son désir. Elle est aussi insatiable que ses partenaires infatigables, aussi, de longs discours sont-ils superflus pour faire connaître ses intentions. Des regards appuyés, des lèvres entr’ouvertes, laissant pointer une langue rose, une main qui caresse un sexe avide, cela suffit amplement à exprimer l’attente. 

L’actrice muette et béante, avide et ardente, prend des initiatives et se prête avec enthousiasme aux assauts de ses partenaires, ses gémissements, feulements et autres appels évoquent davantage un curieux animal qu’une personne humaine. 

Le cinéma classique dépeint le désir de la femme par l’évocation de deux stéréotypes: la frigide et la nymphomane. Il n’y a pas d’intermédiaire! L’une bascule parfois d’un camp à l’autre, mais, feu ou glace, l’héroïne incarne le danger. La vamp nymphomane demeure une figure de référence dans le polar noir, à l’instar de Charlotte Rampling faisant des avances à Robert Mitchum dans Farewell my lovely, hypocrite et perverse, elle ne poursuit que des quêtes égoïstes. Mireille Darc dans Les seins de glace, incarne pour sa part une frigide prête à poignarder l’homme qui tenterait de la toucher, on remarquera au passage, le symbolisme du couteau.

La boulimie de sexe affecte tout autant les héroïnes du cinéma que celles du porno! Le désir de la femme symbolise le mal, le danger, elle est une émanation de la Lilith biblique, des démons succubes qui revêtent d’engageants aspects féminins pour capturer d’innocentes âmes masculines….

Pourtant, une réflexion plus approfondie vient nuancer ces observations. L’instrumentalisation du corps, la caricature du désir féminin, s’ajoutent à la liste déjà longue des  griefs  féministes à l’égard de la domination masculine. Ce que le cinéma caricature, ce n’est pas le désir féminin, c’est l’expression masculine de celui-ci. En effet, l’homme désirant va se montrer entreprenant, séducteur, actif, et toutes ses tentatives seront interprétées comme autant de signes extérieurs de virilité. Par contre, lorsque la femme se conduit de façon entreprenante, séductrice, active, ses comportements ont tôt fait d’être condamnés, ils ne peuvent émaner que d’une créature anormale dont on viendra à mettre en doute l’humanité: ce sera une bête gouvernée par ses instincts et non sa raison, une folle qui pourrait bien causer la perte des imprudents qui s’en approchent, une « chienne » qui ne s’intéresse qu’à son plaisir et se plaît à dévorer les mâles…. En revanche, l’expression jugée « féminine » du désir féminin, le culte du corps, l’idolâtrie de la beauté, la tyrannie de la mode, reste l’une des meilleures raison d’être de l’expression érotique sexuellement correcte du cinéma classique.

Les féministes et la pornographie, la littérature féminine, l’hyperréalisme du discours sur le sexe

Nadine Strossen, juriste, professeur de Droit préside depuis 1991 l’Union

américaine pour les Libertés Civiles (ACLU), est l’auteur d’un livre intitulé Defending Pornography où elle prend la défende de sa compatriote Wendy McElroy dont le livre, XXX, publié en 1996 défend la pornographie.

“Le principal mérite de Wendy McEnroy est de nous révéler le témoignage de femmes qui travaillent dans l’industrie du sexe. Les entretiens qu’elle nous présente viennent s’inscrire en faux à l’égard de bien des idées reçues, et interpellent tous ceux qui se sentent concernés par les droits de la femme…”

Voilà ce qu’écrit l’auteur de XXX sur un site d’opinion (Wendy McElroy en 2001):

“Il faut dire que la pornographie est profitable aux femmes. En la bannissant l’État le appauvrira plutôt qu’il ne les enrichira. Lisa Duggan l’expliquait : « La pornographie a permis de déranger le sexe conventionnel, et plus encore de ridiculiser l’hypocrisie sexuelle et de souligner l’importance des besoins sexuels. La pornographie véhicule bien des messages … elle défend les aventures sexuelles, le sexe hors mariage, le sexe pour le plaisir, le sexe ordinaire, le sexe interdit, le sexe anonyme, la sexualité de groupe, le voyeurisme. Certaines de ces pratiques plaisent aux femmes, lesquelles à travers leurs lectures ou visionnages, interprètent ces images comme une légitimation de leur sens de l’urgence sexuelle ou leur désir d’être sexuellement agressives. » Il n’est nul besoin de citer tous les sites qui permettent ces aventures sexuelles!

Dans le monde du féminisme, d’autres voix s’élèvent qui représentent une tendance radicale. Ici, on ne fera pas de concession, car par définition le monde se trouve encore sous le pouvoir des hommes et par conséquent, la parole ou le consentement d’une femme ne peut pas être vrai. On postule donc, que toutes les décisions d’une femme, et notamment en ce qui concerne sa sexualité sont arrachées sous la contrainte masculine. Ainsi s’exprime  Catharine A. MacKinnon l’une des grandes figures du féminisme américain. Docteur en droit et en sciences politiques, avocate à la Cour Suprême, auteur de nombreux livres, théoricienne, militante, elle s’est engagée dans le combat pour les droits humains et l’égalité des sexes. Son premier livre est publié en France: Le féminisme irréductible dans lequel elle traite des violences dresse un tableau dramatique de l’aliénation des femmes. Elle écrit :« La sexualité est au féminisme ce que le travail est au marxisme : rien ne nous appartient davantage, et pourtant il n’est rien dont on ne soit davantage dépossédé”.

En France, ce sont les “chiennes de garde” qui transmettent la bonne

parole:  dans un article intitulé “Pornographie: victimes quoiqu’elles disent.”  elles nous expliquent que, même  un choix sexuel conscient et délibéré demeure inconsciemment soumis à la dictature de monde masculin. Cette attitude, poussée à l’extrême semble aussi méprisante pour la femme que le pire machisme, en effet, si elle est manipulée inconsciemment, cela signifie qu’elle ne dispose pas de sa liberté de conscience… De quoi donner raison au pires obscurantistes passés présents et (hélas) à venir!

Pourtant, il est intéressant de se rappeler, comme le fait remarquer Misty Whalen, étudiante en philosophie et en littérature dans une université américaine, passionnée de poésie et inconditionnelle admiratrice de Nietzsche.  “La popularité et la généralisation de la pornographie en Occident, ainsi que la frustration masculine larvée qu’elle favorise, sont en grande partie dues aux mouvements de libération de la femme. Réciproquement, le féminisme moderne doit au moins une part de son succès à l’existence de la pornographie.”

La tendance actuelle du féminisme reste partagée entre s’ancrer dans le radicalisme ou trouver une nouvelle voie. 

Antoinette Fouque, l’une des fondatrices du mouvement de libération de la femme, crée en 1973, une maison d’édition Des Femmes, qui se donne pour buts de ne publier que des écrits de femmes, essais, romans, poésie, témoignages allant dans le sens de faire valoir leurs droits et de faire entendre leur voix. Pourtant, à ses débuts, cette initiative ne rencontre pas que des approbations au sein même des mouvements féministes. Aujourd’hui, il existe de telles maisons d’éditions dans de nombreux pays européens.

La littérature, comme d’autres expressions artistiques a longtemps fermé sa porte aux femmes réputées écrire avec mièvrerie. Il en va tout autrement aujourd’hui, et des auteures telles que Catherine Millet, dont le livre La vie sexuelle de Catherine M a fait scandale, bousculent sans ménagement les idées reçues. Un texte que l’on trouve vigoureux, viril et littéraire sous la plume d’un Houelbecq devient soudain vulgaire et porno s’il est signé d’une main féminine… 

Le roman de Vanessa Duriès, Le lien, est plus qu’une réplique actuelle d’Histoire d’O (elle aussi signée d’une main féminine) , l’auteure nous y fait découvrir des délices érotiques qui ont de quoi faire hurler les féministes radicales.

Que dire enfin des écrits de la belle Ovidie, ex-star du porno, reconvertie avec talent dans l’écriture et la production videographique. Elle publie son premier livre, Porno Manifesto,  à l’âge de 21 ans, et ne trempe pas sa plume dans l’eau de rose!

Mais, ne faudrait-il pas se libérer de ces clivages sexuels? La lutte de classes sociales est devenue une idée pittoresque et désuète doit-elle passer un bien tardif relais à la lutte des classes sexuelles, suivi bientôt d’une dictature gynarchique, accompagnée de camps de rééducation et autres goulags?

Judith Butler, professeur à Berkeley, est une spécialiste reconnue des «études sur le genre», discipline très américaine qui s’applique à démêler les différences sexuelles au niveau social et historique. Judith Butler s’inscrit en faux vis-à-vis des thèses féministes qui privilégient généralement le “genre” par rapport au “sexe”; elle va jusqu’à contester l’idée d’identité féminine qu’elle soit fondée sur le genre ou sur le sexe. Son livre Trouble dans le genre,  s’oppose nettement au féminisme selon MacKinnon.

Certains groupes gay, au nom de leur culture spécifique, revendiquent la pornographie comme une expression artistique, c’est ainsi que les responsables de Pink TV justifiaient auprès du CSA l’abondance de films X sur leur chaîne.

Dans les années 80, des lesbiennes, comme Gayle Rubin, se mirent à militer pour  défendre la pornographie au nom de la liberté d’expression, et pour la rendre accessible aux femmes. En effet, Gayle Rubin considère que les féministes font partie intégrante de la société hiérarchique dominante et doivent à ce titre être traitées comme des ennemies. 

Elaine Audet, expliquait sur le site d’opinion Multitudes  comment Rubin, dans son livre  Penser le sexe publié en 2001, “poursuit son apologie de toutes les minorités sexuelles dissidentes et se concentre surtout sur la défense de la pédophilie en refusant d’y voir une forme d’exploitation sexuelle; mais qu’en est-il du consentement? Pour elle, toute loi visant à régir la sexualité constitue « un apartheid sexuel » destiné à renforcer les structures du pouvoir en place. Jeffreys montre que la sexualité est le point de divergence fondamental entre le féminisme lesbien et le courant queer.”

La mouvance féministe, on le voit, est loin de rassembler une unité d’opinion à propos de la pornographie! 

D’une façon générale, on constate que, sans devenir des pornophiles convaincus, les personnes qui se réclament d’une appartenance à une minorité sexuelle, semblent prêts à accepter la pornographie au nom de la liberté d’expression, s’ils la refusaient, il s’inscriraient en faux contre leurs prises de positions réclamant pour eux-mêmes cette liberté et cette visibilité.

Portraits

Ovidie, une “extra-terrestre” au pays du porno. Qui aurait cru en effet que

cette belle jeune femme brune, étudiante en philosophie, militante de la cause féministe ferait des débuts fracassants dans le cinéma porno? Ovidie devient rapidement une grande star, mais elle ne se contente plus d’être actrice, c’est en tant que réalisatrice qu’elle veut réussir. Elle signe son premier long métrage à vingt ans : Orgie en Noir qui obtien un “hot d’or” du meilleur scénario. Depuis, elle occupe une place de premier ordre dans ce domaine, et s’attaque aussi à l’écriture. Son premier livre Porno Manifesto paraît la même année que sont second long métrage. On voit souvent Ovidie à la télévision, avec elle, la pornographie se construit une meilleure image, femmes libérées, plaisirs partagés, créativité, rien qui puisse choquer le public, qui entre nous soit dit en a vu bien d’autres et pas toujours le meilleur. Ovidie est devenue aussi une personnalité internationale qu’on retrouvera bientôt en couverture du magazine populaire américain Time. Elle symbolise une certaine idée de la pornographie, chic, féministe, esthétique… Le talent, quel que soit son domaine d’expression, finit toujours par l’emporter.

Ilona Staller, dite La Ciciolina.

Née à Budapest en 1951 dans une famille de fonctionnaires bien tranquilles, elle fait un rapide passage à l’Université dans le département d’Archéologie, mais délaisse bien vite ces poussiéreuses étagères pour devenir modèle photo. EN 1974, elle quitte son pays pour venir s’installer en Italie où elle fait la connaissance de Riccardo Scchicchi, producteur de films pornographiques. On connaît la suite et le brillant succès de celle qu’on surnomme volontiers la reine du porno. Mais Cicciolina n’a pas fini de nous étonner, en 1987, la voilà élue au parlement italien sur une liste de députés du parti radical de Marco Pannella! La voir siéger en tenue froufroutante, habilement suggestive, répondre d’une voix lascive aux questions (disons-le carrément méprisantes des journalistes), demeurer impavide sous les quolibets, Ilona Staller, est sublime, plu italienne que nature, alliant un sens inné du charme à la théâtrale attitude chère à nos cousins transalpins.

Bibliographie

Raffaella Anderson, Hard, Le livre de Poche, Paris, 2003

Authier, Christian , Le nouvel ordre sexuel,  Bartillat, Paris, 2002.

Baudry, Patrick , La pornographie et ses images, Pocket, Paris 1997, 2001.

HPG avec Stephane Bou, Autobiographie d’un hardeur, Hachette littératures, 2002

Judith ButlerTrouble dans le genre, La Découverte, Paris, Juin 2005

traduit de l’américain par Cynthia Kraus.

Catharine A.MacKinnon, Le féminisme irréductible, Editions des Femmes, Paris, 2005

Philippe Di Folco, Dictionnaire de la pornographie, Presses Universitaires de France, 2005

Vanessa Duriès, Le lien, Editions J’ai lu, 2000

Wendy McEllroy, dans A Woman’s Right to Pornography, (texte intégral accessible sur Internet) Saint Martin’s Press, New York, 1995

Nancy Houston Mosaïque de la pornographie, Editions Payot 2004 

Sheila Jeffreys, Débander la Théorie Qeer, Cambridge UK, Polity Press, 2003.

Michela Marzano, Claude Rozier, Alice au pays du porno, Editions Ramsay, collection question de familles, Paris, 2005

Nicolas Restif de la Bretonne, Le pornographe ou La prostitution réformée, Editions Mille et une nuits, 2000

Ruwen Ogien, Penser la pornographie, col. « Questions d’éthique », PUF, Paris, 2003

Ovidie Porno Manifesto, Editions La Musardine, 2004

Le petit citateur, notes érotiques et pornographiques, 1880,

John B.Root, Porno Blues, La Musardine, 2002

Gayle Rubin, Penser le sexe. Pour une théorie radicale de la politique de la sexualité, Marché au sexe, EPEL, 2001.

Nadine Strossen, Defending Pornography, Abacus,1996

Oeuvres de DAF, Marquis de Sade 

Les cent vingt journées de Sodome ou l’Ecole du Libertinage, 1785, publié en 1904, actuellement Editions 10/18

Aline et Valcour ou le roman philosophique, 1786 publié en 1795, actuellement en Livre de Poche.

Justine ou les malheurs de la vertu, 1787, publié en 1791, actuellement Editions 10/18

Eugénie de Franval, 1788

La philosophie dans le boudoir, publié en 1795

La nouvelle Justine ou les malheurs de la vertu, 1797

L’histoire de Juliette, 1797

Les crimes de l’amour, nouvelles héroïques et tragiques, 1800, actuellement en Livre de Poche

La Marquise de Grange, 1813

Dorcy ou la Bizarrerie du sort, 1881

L’éditeur Jean-jacques Pauvert propose les Oeuvres complètes de Sade

Ressources Internet

– Un entretien avec Ruwen Ogien, philosophe, spécialiste de l’éthique

– 50 ans après la naissance de Play Boy, la tyrannie du nouvel ordre sexuel

– Entretien avec Nadine Strossen, Présidente de l’union américaine pour les libertés civiles, Professeur de Droit et féministe

– Site d’opinion, propose de nombreuses analyses de faits de société.

Sexualités: Le Magazine de toutes les sexualités

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