Sujet à la mode abordé par la presse grand public le plus souvent superficiel.
Sexologie Magazine recommande donc le livre de Michel Mogniat aux éditions l’Harmattan très complet à tous ses lecteurs : un discours, d’un réalisme et d’une sensibilité exceptionnels sur un thème souvent méconnu.
Cet auteur a publié chez l’Harmattan, il y a quelques années, un ouvrage original, savant et en même temps accessible sur le thème du masochisme sexuel. Si le sujet nous semble à tous bien connu, rares sont les livres qui en font une analyse aussi approfondie que celle de Michel Mogniat.
On commence par réviser ce que l’on croit savoir à propos du masochisme, l’auteur montre qu’il ne s’agit en aucun cas d’un sadisme à l’envers: «Dans la relation sadomasochiste le dominant semble plutôt être un masochiste actif qu’un sadique laissant libre cours à sa passion. Car s’ils entretiennent entre eux une curieuse dialectique, sadisme et masochisme ne sont pas du tout la même chose; le second n’est pas le négatif du premier.»
Le premier chapitre pose les différentes explications que fournit la psychanalyse, à laquelle l’auteur laisse la part du lion, non sans souligner les errances au rang desquelles figure notamment le discours sur la perversion, la création à point nommé par Freud de l’idée de «pulsion de mort», qui fondera ensuite une ligne orthodoxe considérant le masochisme comme une pathologie et le sadisme comme une donnée naturelle de la libido. «Bien que la psychanalyse freudienne parle de masochisme « érogène» ou primaire, le phénomène masochiste restera pour elle une pathologie: la fixation d’une pulsion à un stade, ce qui n’est pas le cas pour le sa- disme, reconnu lui, par Freud comme une composante « naturelle » de la libido.»
Michel Mogniat ne s’arrête pas là et pose dans le second chapitre les bases d’une explication que fondent les thèses lacaniennes qui prend en compte les expressions variées du masochisme sexuel. Lacan en effet évoque la notion d’une pulsion spécifique qu’il nomme «sado-masochique». Doit-on mettre dans le même panier le masochiste amateur de travestissement et celui qui apprécie d’être traité comme un paillasson, ou un chien? Ces différences d’expression sont-elles en rapport avec des différences d’origine? L’auteur établit bientôt la notion de «complexe matriciel» qui permet de conceptualiser le désir inconscient de féminisation de l’homme. De l’apparence, à la fonction, le désir d’être féminisé est au cœur de beaucoup de jeux masochistes, y compris sous les formes symboliques de la pénétration de la portation et de l’accouchement.
Le chapitre suivant propose une classification du masochismes qui définit d’une part des tendances, et d’autre part des déclencheurs. Trois masochismes sont retenus, il ne s’agit pas de types mais de tendances dominantes qui peuvent cohabiter chez la même personne à des degrés différents toutefois. Le masochisme compulsionnel cherche à actualiser un fantasme bien défini, demeure relativement indifférent à d’autres pratiques, et ne fait pas preuve d’une grande imagination; l’amateur de piétinement ou de face sitting illustrent particulièrement bien ce style.
Le masochisme déviant, bien plus polyvalent se caractérise par une imagination souple et fertile, la même personne peut jouer le rôle de dominant ou de soumis; joueur et un tantinet provocateur ce masochiste apprécie les soirées SM, il est amateur de sensations et vit sans gêne sa sexualité.
Le masochisme pervers s’exprime globalement à travers toutes les situations de la vie, la personne ne joue pas à des jeux masochistes, elle est masochiste. L’imagination est intense car toute expérience peut donner lieu à une interprétation qui entre dans un fantasme masochiste. La personne chez qui domine ce style est prête à aller très loin dans la soumission: «Son masochisme est à la fois moral, dans le sens d’une domination psychologique et déviant par son masochisme physique et son besoin réel de souffrance.»
Les styles de masochismes se révèlent ensuite selon qu’ils apparaissent dans une situation donnée ou en présence d’un objet particulier. Le masochisme de situation s’articule autour d’un fantasme bien défini qui pourra se répéter sans perdre de sa valeur érotique, le ou la partenaire du jeu n’a d’importance que pour le rôle joué dans le fantasme.
Le masochisme d’objet s’inscrit dans une recherche toujours inassouvie de l’amour, de l’attention de l’objet vénéré. L’exemple le souvent cité est celui de Sacher Masoch qui met en scène le héros (Vénus à la fourrure) qui n’a d’existence érotique que dans l’aboutissement d’une quête par lui même rendue impossible. Le masochiste d’objet crée une relation inscrite dans la perversité: « C’est la personne épuisante, celle qui pompe toutel’énergiedupartenaireéluetformaté.Lapunitionetlemotifdelapunition,sonmoded’application,saduréeontbiensûruneimportancenonnégligeable,maiscequ’ildemandesurtoutc’estquel’ons’occupedelui,qu’onlebatte,qu’onlefrappe,qu’onl’humilie,qu’onlepunisse,maisqu’ons’occupedelui!»
L’ouvrage de Michel Mogniat présente ensuite diverses formes de jeux masochistes. Il recommande d’essayer de les comprendre sans utiliser la grille de lecture psycho-pathologique, mais bien plutôt d’en saisir la dynamique et le sens. Ainsi, le lecteur peut-il redécouvrir le bondage, le jeu de l’araignée, celui du chien ou de cheval, les piétinements, la mise en croix, les travestissements et autres délices masochistes.
L’auteur présente ensuite deux récits de masochistes différents qu’il analyse en soulevant les thèmes et les interrogations qu’ils suscitent.
Au chapitre 5, c’est le point de vue du philosophe Gilles Deleuze qui est étudié et proposé en complément de ce que peut dire la psychanalyse à propos du masochismes. Il est vrai que le thème n’a pas été très souvent abordé de façon directe par les philosophes.
On peut se demander si l’étonnante omniprésence du masochisme n’entraîne pas une cécité paradoxale. Ainsi, toutes les grandes religions en banalisent la pratique présentée comme une voie d’accomplissement. «L’humiliation, la privation de liberté, de nourriture, de contacts, figurent aux programmes de ceux qui veulent faire leur salut dans la foi. La religion ayant pour message principal le renoncement à soi-même, le masochisme ne pouvait pas mieux l’entendre.»
L’auteur montre comment le masochisme ordinaire entretenu par les religions, se retrouve aussi intimement mêlé à la culture et à la société. S’agit-il d’une constante humaine qui migre? Le débat reste entier et seules les réponses qui assument la complexité du phénomène peuvent espérer y apporter un éclairage fécond. L’auteur fait également un point sur le formatage du masochisme par les média opéré dans une perspective marchande. Puis de s’interroger sur la possibilité de vivre sa tendance: «Même si le masochisme semble prendre une certaine ampleur, que le pratiquant soit homme ou femme il aura encore longtemps à subir le mépris de ses contemporains. On est également en droit de se demander si une relation masochiste sexualisée est vivable à l’intérieur d’un couple constitué.»