Hijra en Inde, une très ancienne tradition aujourd’hui menacée

En Inde, environ 5 millions de personnes ne sont ni des hommes ni des femmes, elles vivent travesties, exercent les métiers de danseuse, de musicienne et des fonctions d’ordre spirituel, ce sont les hijras, appelés aussi Aravanis. Leur communauté est actuellement de plus en plus menacée et nombre de hijras se livrent à la prostitution pour survivre.

Au départ, ce sont des hommes qui ne se reconnaissent pas en tant que tels et qui choisissent de devenir Hijra, ils sont issus de toutes les castes de la société, certains même sont d’origine musulmane. Les enfants qui naissent hermaphrodites sont également accueillis dans les communautés hijra. Enfin et surtout, les hijras accueillent des jeunes rejetés par leurs familles et leurs castes quand une ambiguïté de genre est soupçonnée.
Il faut comprendre que les hijras font partie intégrante de l’hindouisme, elles n’ont donc pas besoin de justifier leur existence; ce qui serait dans la société occidentale compris comme une ambiguïté de genre qui ici prend un tout autre sens. Les Hijras vouent en effet leur vie au culte de Bahuchara Mata (une des nombreuses formes de Parvati, épouse du Dieu Shiva, représentée munie de quatre bras).
Bahuchara Mata est assise sur un coq, un symbole d’innocence. Elle enseigne, conformément à la norme, que le meurtre des animaux ou de toute créature est une faute et que la non-violence est la voie de la sainteté. L’une des légendes raconte que la déesse fut autrefois une princesse qui castra son époux car il préférait aller dans la forêt pour se travestir et se comporter comme une femme plutôt que d’honorer sa couche… D’autres histoires expliquent qu’un homme qui avait importuné Bahuchara Mata, fut d’abord condamné à l’impuissance. Pour obtenir le pardon de la déesse , elle exigea qu’il fut castré, vêtu en femme et passât désormais sa vie à l’honorer.
Le temple de Bahuchara Mata se trouve à Shankhalpur (Gujarat).

Les hijras, selon la tradition, doivent sacrifier leur vie sexuelle et privilégier leur vie spirituelle.

Dans les faits, aujourd’hui, la place sociale des hijras se situe tout en bas de l’échelle sociale. On rattache également leur tradition à celle des eunuques de l’empire Moghol (16e siècle). Beaucoup d’homosexuels travestis rejoignent les communautés hijras, c’est le prix à payer là où l’homosexualité est le plus souvent cachée car considérée comme un vice.

Les communautés hijras sont dirigées par un gourou

Elles comptent le plus souvent une vingtaine de membres. L’intégration dans la communauté exige le travestissement en femme, mais s’il veut avoir plus de pouvoir, l’apprenti devra subir une émasculation complète. Aucun soin particulier ne lui sera prodigué, le risque vital est réel, la douleur atroce. Le geste symbolise la mort et la renaissance. L’homme meurt pour renaître hijra… Les hijras (eunuques) sont considérées comme de puissantes magiciennes. Toutefois, 70% des hijras n’ont pas subi l’opération et se contentent de prendre des traitements hormonaux pour féminiser leur apparence.
Ainsi, à chaque étape importante de leur vie, les Indiens demandent la bénédiction d’un hijra, et leur présence aux fêtes données pour les naissances ou les mariages. Plus le hijra a de prestige et plus sa rémunération est élevée. Non seulement, les hijras peuvent porter chance, mais elles sont musiciennes, danseuses, chanteuses et animent des spectacles recherchés.

Les hijras se réunissent chaque année à Koovagam

Ce village est situé au sud de l’Inde sur la côte est. C’est là que se tient leur festival annuel. Concours de beautés, chant, danse et théâtre sont au menu de la fête. Ce rassemblement est désormais organisé par des associations de lutte contre le SIDA (Initiative anti SIDA) et une ONG Voluntary Health Service.
Les hijras perpétuent la tradition en jouant l’épisode du Mahabharata (long poème épique, livre sacré de l’hindouisme) qui évoque leur rôle.


« Celui qui, abandonnant tous les désirs, vit libre de toute entrave personnelle et de tout égoïsme, celui-là obtient la paix » (Mahâbhârata, VI, Bhagavad-Gîtâ, II ; 71)


“Fatigués des combats sans fin entre les Kauravas et les Pandavas, les dieux décidèrent que serait déclaré vainqueur le clan qui leur sacrifierait un jeune homme. Le prince Aravan, du clan des Pandavas, se désigna mais exigea de connaître les joies du mariage avant son sacrifice. Aucun père ne voulu donner sa fille, promise à un veuvage et condamnée par la suite à vivre dans la misère. Krishna s’incarna alors, pour une nuit, en Mohini l’enchanteresse et s’unit à Aravan. C’est pourquoi chaque année, les hijras commémorent l’union de Dieu et des hommes.

« Il n’y a jamais eu un temps passé ou nous n’existions pas, il n’y aura jamais un futur ou nous cesserons d’être »

Malgré l’accroissement de leur visibilité, les hijras sont de plus en plus marginalisées comme le rapelle Laxmi, dirigeante d’une communauté à Bombay et présidente de la seule ONG dédiée aux castrats en Asie.
Laxmi mène un combat acharné pour faire reconnaître la communauté des hijras : leur donner une place réelle dans la société au lieu d’être condamnées à la mendicité, la prostitution et décimées par le sida.
Le jour Laxmi anime sa communauté et prodigue son soutien à tous ceux qui viennent demander de l’aide. La nuit, elle se métamorphose en danseuse de talent, fascine les spectateurs par sa fougue et son art consommé du geste et du regard. La danse de Laxmi entretient ainsi la ferveur du public: tout indien quelle que soit son appartenance sociale sollicite la bénédiction des Hijras pour porter bonheur à ses projets…
Aujourd’hui, en Inde, on reconnaît un troisième genre. Le passeport d’un citoyen de l’Union Indienne peut porter la mention M pour masculin, F pour féminin et E pour eunuque….

Auteur/autrice : Patrice Cudicio

Médecin

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