La sexologie existe-t-elle ? Une visite en « profondeur » de la sexologie et des sexologues.

Article destiné aux pro(s)

Quelles sont les représentations de la sexologie ? Est-elle une science, un savoir, une connaissance, un art, une technique ? A-t-elle sa raison d’être ? Est-elle utile ? Un retour aux sources est nécessaire. Qu’est-ce qu’un sexologue ? Doit-il être médecin, psychologue, sociologue, historien ou tous à la fois ? Nombreuses sont les questions que nous devons nous poser et que je vais m’efforcer de préciser. Je vais donc tenter d’y apporter quelques réponses.

La sexologie évolue en permanence et, plus peut être que tout autre discipline, elle reflète les données sociales, les courants de pensée et l’idéologie en vigueur dans le cadre sociologique où elle est pratiquée. Il semble donc utile voire nécessaire d’envisager une remise en question des concepts utilisés en sexologie. Beaucoup sont obsolètes car s’appuyant plus sur des croyances ou théories pseudo-scientifiques dépassées, que sur une recherche objective actualisée. On voit donc fleurir de nombreuses formations de sexologues inconsistantes voire ésotériques.

Avant d’envisager une formation en sexologie, il est donc utile de se poser quelques questions avant de trouver des réponses.

Par ailleurs, n’ayant pas la prétention de détenir une quelconque vérité, j’aborderai ce sujet sous la forme d’hypothèses et de conjectures, me permettant, parfois, de remettre en question certaines hypothèses, théories, approches ou croyances en vigueur actuellement.

Je me limiterai à aborder ici deux concepts : celui de Sexologie, puis celui de Sexologue. L’approche que je vais utiliser ici ne sera pas orthodoxe car elle se fonde essentiellement sur les représentations associées à ces termes et non exclusivement sur des définitions

Dans « L’erreur de Descartes » Antonio DAMASIO, spécialiste des neuro-sciences explique bien qu’il n’est pas possible de penser sans utiliser des images mentales, même dans un domaine aussi abstrait que les mathématiques.  Il peut, bien sûr, s’agir aussi d’images sonores ! Pour donner une autre clef à mon approche, je vais essayer d’aborder ces sujets comme j’aborde la problématique d’un patient consultant : ma communication en étant en quelque sorte une métaphore !

Pour le « Petit Robert », la sexologie est la science qui étudie les problèmes relatifs à la sexualité et à ses troubles ; mais qu’en est-il de la représentation de la Sexologie ?

Déjà le mot science, pose de nombreux problèmes, puisqu’il possède plusieurs définitions : « Connaissance exacte et approfondie – Savoir-faire que donnent les connaissances, l’habileté – Tout corps de connaissances ayant un objet déterminé et reconnu et une méthode propre. » 

Je ne suis pas certain que la Sexologie réponde à tous ces critères de science.

Nous pouvons sans aucun doute, nous la représenter comme un savoir ; c’est d’ailleurs ce que nous essayons de transmettre au cours d’enseignements ; quant à parler de connaissance, c’est une autre histoire ! Car dans le terme de connaissance, il y a la notion de savoir-faire, c’est-à-dire d’expérience.

Quelle expérience peut-on avoir de la sexologie ?

Si je me réfère à l’enseignement que j’ai reçu, il y a plus de 30 ans, auprès de la Société Française de Sexologie Clinique ou de l’Institut de Sexologie, et à celui que je dispense dans le cadre du Diplôme Inter Universitaire, il s’agit beaucoup plus d’un savoir que d’un savoir-faire, d’où l’illusion du savoir ; il est d’ailleurs étonnant de constater le peu d’efficacité des ouvrages concernant la sexologie ! Mais nous y reviendrons plus loin.

Comment puis-je me représenter le concept même de Sexologie, sachant que sa définition ne me permet pas d’en avoir une meilleure compréhension ? 

Comment ne pas y mêler notre propre expérience ?

Il ne s’agit pas uniquement de notre propre sexualité, mais aussi des théories que nous utilisons pour interpréter ses fonctionnements et ses dysfonctionnements. Pour les linguistes George LAKOFF et Mark JOHNSON, les concepts qui nous permettent d’appréhender la réalité seraient métaphoriques ; en effet sans métaphore nous ne pourrions ni parler de nos expériences les plus fondamentales, ni représenter le moindre concept. Ainsi pour ces auteurs, une proposition vraie n’est plus une proposition qui corresponde à la réalité telle qu’elle est en elle-même, mais une proposition qui se réfère à la réalité telle que nous la comprenons. Notre système métaphorique structure et modèle la réalité.

Ce qui interpelle alors, c’est que nous ne pouvons échapper à ce point de vue, puisque l’expression « point de vue » est déjà une analogie ou une métaphore utilisant une représentation visuelle !

Ainsi, lorsque nous utilisons le mot Sexologie, nous ne pouvons éviter d’influencer son concept par notre propre expérience.

Qui plus est et selon les mêmes auteurs, le système conceptuel métaphorique qui nous permet d’appréhender la plupart des aspects de la réalité dérive donc d’un certain nombre de concepts émergeant de notre interaction directe possible ou effective avec notre environnement, plus précisément de notre expérience. Le concept de Sexologie étant particulièrement imprécis, cela justifie sans doute les diverses interprétations que l’on peut en faire.

Que trouvons nous derrière ce concept ?

Sans doute un peu ce que chacun veut y mettre ou y trouver selon son « obédience ». D’où la difficulté d’être ou de trouver un bon ou une bonne sexothérapeute. On y trouve du médical, de la psychologie, du sociétal en proportions diverses et variées sans oublier toutes les pseudo-sciences. Certains se définiront et définiront leur approche thérapeutique en sexologie comme sexologue, d’autres comme andrologue, psychiatre, psycho-sexologue, psychosomaticien, psychanalyste, cogniticien, coachs etc…

Je n’aborderais pas les différents courants de pensée ou théoriques qui sous-tendent ces concepts: ils sont trop nombreux ; citons par exemple, en psychanalyse : les courants Freudien, Lacanien, Jungien, Reichien, en somatothérapie : la relaxation, la musicothérapie, la bioénergie, la gestalthérapie, etc…sans oublier les TCC avec la méditation de pleine conscience. Si l’habit ne fait pas le moine comme le dit le proverbe, il n’en est pas moins une représentation. On voit même resurgir le « New age » avec des formations de « sexologues » basées sur les concepts datant des années 60 ou comment faire du neuf avec du vieux!

Y-aurait-il donc autant de conceptions de la sexologie que de sexologues ? 

Partant de cette notion, nous pourrions dire que cela suppose qu’il y ait autant de troubles sexuels que de patients.  Je ne suis pas loin de le croire !

Surtout que lorsqu’il s’agit d’aborder un problème sexuel, nous sommes confrontés à au moins trois représentations : celle du patient, celle du partenaire et celle du thérapeute !

Ce qui voudrait dire que la seule thérapie valable sera celle qui utilisera les métaphores ou représentations du patient. La chose ne semble pas simple. Il existe probablement des pistes de réflexion et des moyens d’action, mais le but de cet article est autre. Il est évident, mais j’y reviendrai que le sexe et la sexualité de chacun vont influencer ces différentes représentations de la Sexologie !

Définir la Sexologie semble donc, au fur et à mesure que nous avançons dans cette réflexion, de plus en plus difficile et ardu.

Sans doute faut-il revenir aux sources !

Que lisons nous dans la préface du livre : « Anomalies et Perversions sexuelles » de Magnus HIRSCHFELD ? « …la sexologie a vu le jour dans la seconde moitié du XIXème siècle et que ses premiers représentants furent aux prises avec tous les obstacles dressés par les préjugés sociaux, les informations erronées, les attaques et les persécutions acharnées. … l’analyse objective et la classification des anomalies sexuelles, qui en fonction de leur origine et de leur portée, représentent un problème social d’importance considérable, étaient prohibées par un véritable tabou. » Que nous prenions comme référence d’autres auteurs comme le Dr KAHN, Auguste FOREL, KRAFFT-EBING, HAVELOCH ELLIS, MOLL, SCHRENK-NOTZING, FÉRÉ ou BLOCH, les pères de la sexologie moderne, il s’agit beaucoup plus d’anomalies sexuelles que de pathologies sexuelles au sens où nous l’entendons aujourd’hui. Ainsi dans l’ouvrage dont j’ai fait référence plus haut, HIRSCHFELD aborde des sujets comme la masturbation, l’hermaphrodisme, l’homosexualité, de sado-masochisme, le fétichisme, etc…, dans un objectif qui était de déculpabiliser, et de « normaliser » considérant « qu’il était injuste de persécuter des êtres qui satisfont leurs instincts sexuels d’une manière inaccoutumée et non conforme à la norme » ; je rajouterai en vigueur à l’époque. Malheureusement, leurs messages ne semblent pas avoir atteint le XXIème siècle !

Pourrions-nous aujourd’hui parler ainsi de la Sexologie ?

Déjà, l’homosexualité ne fait plus partie des anomalies ou perversions sexuelles, quant au narcissisme, à l’exhibitionnisme, au sado-masochisme, ils font la fortune des publicitaires, des médias et particulièrement des réseaux sociaux.  Cela nous oblige à aborder les concepts de normalité et de pathologiques toujours dans une perspective métaphorique puisqu’il semble que toute description ne puisse être autre que métaphorique ! Nous constatons donc qu’en fonction de données socio-culturelles évolutives avec le temps, ce qui était normal hier devient pathologique aujourd’hui et inversement. Prenons pour premier exemple la pédophilie ou plus exactement la pédérastie : elle était naturelle et considérée comme normale et initiatique dans l’antiquité grecque, alors qu’elle est conçue comme pathologique aujourd’hui. Inversement l’homosexualité passive était condamnée, bien que son concept n’existât pas. 

Il existe de nombreux autres exemples plus récents.

Aujourd’hui, nous constatons que les champs d’expérience de la sexologie sont bien différents. 

Si nous essayons de nous représenter la Sexologie, nous pensons essentiellement à l’éjaculation prématurée qui est devenue rapide depuis quelques temps, à la dysérection, aux troubles du désir, etc…, mais peu ou pas à ce qui était considéré comme pathologique dans la première moitié du XXème siècle.  A propos de l’éjaculation rapide, il est d’ailleurs amusant de constater qu’elle a pu et est encore valorisée dans d’autres cultures que la nôtre où c’est plutôt le contraire et que l’« inventeur » du mot rapide impose sa représentation sans vérifier si cela change quoique ce soit à la représentation des patients, ou de nous-même ! D’ailleurs avant d’être prématurée, elle a été précoce. Lequel de ces qualificatifs est le plus juste ? La question est posée ! Son existence, à proprement parlé a vu le jour dans les années 60 avec nos deux célèbres sexologues américains Masters et Johnson. Ou comment transforme t-on une normalité en pathologie.

Donc, exception faite de ce qui relève classiquement de la médecine organique, il n’est pas évident de faire la distinction entre le normal et le pathologique.

Enfin à la dernière question : la sexologie est-elle un art ?

Sans doute, dans le sens où il s’agit d’un ensemble de moyens, de procédés réglés qui tendent à une certaine fin ; cela reste suffisamment confus pour que chacun y trouve son compte sauf peut-être le patient; elle aura l’avantage, pour le praticien, de le convaincre plus facilement le patient de l’intérêt de sa méthode ou de sa technique qui sont peu ou pas réglementées. 

En fait, je ne suis pas convaincu de l’existence de la Sexologie même s’il en existe une définition ; en revanche les sexologues existent. Ils sont d’ailleurs de plus en plus nombreux. Leurs formations ne sont malheureusement pas pour beaucoup à la hauteur de leurs prétentions.  Ils sont formés par des enseignants incompétents n’ayant reçus aucune formation sérieuse en sexologie et qui n’ont qu’une faible pratique en sexothérapie.

S’il est difficile de se faire une idée de la Sexologie, celle-ci se situant à la confluence de divers courants de pensée qui n’ont pas tous apporté la preuve de leur efficacité, il semble aussi difficile de se faire une image du sexologue, ne serait-ce que celui ou celle qui pratique la sexologie a déjà une certaine représentation personnelle de son art. La notion de consensus est difficile voire impossible à mettre en œuvre en sexologie, ce qui n’est pas le cas pour des spécialités comme la cardiologie, la gastro-entérologie ou l’urologie !

Cette représentation que possède le sexologue de lui-même est influencée par son sexe, sa sexualité, son éducation, sa culture dont sa profession d’origine et bien sûr sa formation. 

Si sur un plan très médical comme la dysérection, un consensus semble possible entre les hommes et les femmes, cela reste plus problématique quand il s’agit de troubles plus culturels comme l’éjaculation rapide. Alors quant à aborder des troubles beaucoup plus subjectifs comme les inhibitions du désir sexuel, l’influence du sexe du thérapeute ne peut pas ne pas être envisagée. Il serait trop long d’envisager ici tout ce qui différencie la femme de l’homme.

Ce que je vais aborder maintenant est beaucoup plus délicat et subjectif, voire subversif puisqu’il s’agit d’une question plus personnelle. Ne voulant choquer, ni provoquer personne, je l’aborderai à mon sujet :

Est-ce que ma sexualité et mon épanouissement sexuel peuvent influencer ma façon d’être et de faire en tant que sexologue ?

Je pense que oui et cela n’engage que moi ; néanmoins chacun devrait se poser cette question. Et ce n’est pas ce que certain appelle un « travail sur soi » qui changera les données du problème. La neutralité ne peut exister, l’être humain étant par nature genré pour ne plus dire sexué. Il est fort probable d’ailleurs, mais aucune enquête ne pourra en apporter la preuve, que notre façon de faire et les outils ou techniques utilisés soient influencés de la même manière. Il semble évident et honnête de dire que pour être sexologue, il vaut mieux être intéressé par le sujet. Maintenant que faut-il être pour être un sexologue efficace ? Je ne donnerai pas la réponse. A la différence d’autres psychopathologies, nous avons souvent un devoir de résultat, ce qui ne nous permet pas de prolonger une thérapie au-delà de quelques semaines, au pire de quelques mois. Nous pourrions aborder, de la même façon, des concepts comme l’éducation, la culture et la formation, nous obtiendrions les mêmes résultats : chacun possède une représentation de la sexologie qui va l’influencer dans sa pratique surtout s’il n’a pas la possibilité d’utiliser tous les outils mis à sa disposition. Malheureusement, les résultats ne seront pas comparables, au moins en ce qui concerne la résolution du problème posé par le patient et de la satisfaction de celui-ci

Il y a maintenant une vingtaine d’années l’enquête de GIAMI et de de COLOMBY a montré que sur un total de 337 personnes se reconnaissant comme sexologue, il y avaient 68% de médecins, 12% de psychologues et 21% autres. Aujourd’hui, les choses ont bien changés. Parmi les dernier(e)s diplômé(e)s en sexologie, il n’y a presque plus de médecins, mais des sage-femmes, des psychologues, des infirmier(e)s et quelques personnes sans compétence particulière. Sont-ils pour autant tous sexologues? En fait la plupart n’a qu’une très faible pratique car incompatible avec leur formation originelle.

Il semble évident que l’approche des troubles sexuels, ne peut être la même, chacun étant conscient de ses possibilités et de ses limites. Ne serait-ce qu’au niveau d’un examen clinique qui, s’il n’est pas toujours utile, peut s’avérer parfois indispensable.

Prenons l’exemple de l’examen doppler des artères sexuelles ; nous savons qu’il est souvent préférable de le réaliser à la suite d’une IIC de PgE1 (injection intra-caverneuse d’EDEX); habituellement, l’angiologue injectera 5µg car il étudiera exclusivement la qualité des artères, un sexologue qui a une certaine expérience en la matière, injectera 20µg car il profitera de l’occasion pour vérifier la qualité des corps érectiles afin d’éliminer une fibrose qui est plus fréquente qu’on ne le pense.

Nous nous rendons compte que si déjà un consensus est difficile à définir entre les médecins qui pratiquent plus ou moins la sexologie ; qu’en est-il avec les psychologues ou autres sexologues non-médecins ? Nous voyons que le Sexologue est aussi difficile à définir que la Sexologie.

Que conclure… ?

…si ce n’est que la Sexologie reste encore à inventer ; si elle doit exister un jour, elle ne le devra que par elle-même et non pas comme le prolongement de telle ou telle spécialité ou pratique. Quant au Sexologue, s’il a au moins une existence physique est-il vraiment sexologue ? A mon avis, ce n’est que par une pratique quasi exclusive de cet art, que l’on peut, peut-être, espérer le devenir un jour. Quant à la transmission de cet art qu’est pour moi la Sexologie, elle ne peut se faire que de manière initiatique, c-a-d par le partage d’une expérience.

En pratique: si les DIU de sexologie et de sexualité humaine offre une bonne formation sur le plan théorique, ils ne permettent plus d’être sexologue. Quant aux diverses autres formations de sexologues proposées sur internet en résidentiel ou en ligne, elles sont surtout intéressantes pour leurs formateurs! Des conseils pour une formation, contactez la rédaction.

Sexologie et sexologues s’élaborent chemin faisant dans les dialectiques complexes du pathos et du logos…

Dr Patrice CUDICIO

Références bibliographiques :

DAMASIO A. 1995. L’Erreur de Descartes. Paris, Editions Odile Jacob.

GIAMI A., DE COLOMBY P. 2001. Profession Sexologue :pp. 41-63 In Sociétés Contemporaines,41-42. Paris, Editions L’Harmattan.

HIRSCHFELD M. 1957. Anomalies et Perversions Sexuelles. Paris, Office de Centralisation d’Ouvrages.

LAKOFF G., JOHNSON M. 1985. Les métaphores dans la vie quotidienne. Paris, Les Editions de Minuit.