Convergences idéologiques et religieuses actuelles (Chrétiens, Musulmans, Néocons) La chasteté, jusqu’alors comprise comme une pratique réservée aux « célibataires consacrés », prêtres, moines, et autres nonnes, se trouve désormais propulsée sur le devant de la scène morale de notre société. Chercher des explications dans les « dérives » des mœurs serait d’une part trop réducteur, et d’autre part reviendrait à tomber dans la logique souvent contestable de ces courants moralisateurs.
L’exploration des sites internet dédiés à la chasteté fait apparaître des convergences d’idées et de principes, les discours des catholiques comme ceux des musulmans, et de divers mouvements laïques s’accordent pour reconnaître à la chasteté des vertus souveraines.
Le corps diabolisé, et le refus du plaisir
Sommes-nous revenus au Moyen-âge ? ou plus exactement à l’idée qu’on s’en fait ?
Michel Volle écrit à propos de la position de l’Eglise sur le sexe et la chasteté :La sexualité est devenue l’ennemi de celle-ci en lieu et place de la richesse, seul l’usage reproductif de l’appareil génital étant encouragé. « Certes, nous disait-on au catéchisme, la pauvreté est recommandée ; mais à l’impossible nul n’est tenu« . Cette restriction n’est jamais mentionnée lorsque l’on parle de la chasteté. »
Le pape Jean-Paul II dont le culte frôlait dangereusement l’idolâtrie a largement contribué à promouvoir la chasteté, notamment auprès des jeunes ; ainsi il suffirait d’exercer un contrôle sur sa sexualité, pour plaire à DieuMyriam Terlinden , auteur de « Cohabiter ou se Marier ? » (éditions de l’Emmanuel), écrit « On confond parfois chasteté et continence sexuelle. Si donc on n’a pas trop de peine à imaginer la chasteté pour les célibataires, on se demande ce que ça vient faire chez les gens mariés! Effectivement, la chasteté et la continence concernent la sexualité, mais différemment : la continence désigne une pratique, la chasteté une spiritualité ».
Ces discours évoquent une normalisation extrême de la vie sexuelle. L’Eglise encourage une vie chaste qui consiste à s’abstenir des « jouissances charnelles désordonnées ». Loin d’être un acquis, la chasteté est un idéal à atteindre, une conquête de chaque jour, ni plus ni moins une vocation !Quelles innommables pratiques se cachent-elles sous la délicieuse expression : « jouissance charnelle désordonnée » ? Des « jouissances charnelles ordonnées » sont-elles permises, ou bien faut-il y renoncer , et comment faire pour ordonner ses jouissances?
L’islam n’est pas beaucoup plus permissif, on lit : « Le mariage complète la foi, épargne de la séduction, aide à préserver sa chasteté et offre un moyen de satisfaire son désir sexuel. L’adultère n’est donc plus une option. » et de citer à l’appui les paroles sacrées :« Le Prophète – paix et bénédictions sur lui – parla du mariage en ces termes : « Il permet de rabattre le regard et de préserver sa chasteté. » Il ajouta : « Quiconque se voit octroyer de la part de Dieu une femme vertueuse doit savoir que Dieu l’a aidé à accomplir la moitié de sa religion. Qu’il craigne alors Dieu pour l’accomplissement de la moitié restante. »http://www.islamophile.org
Pourtant, l’Islam, plus pragmatique, ne méprise ni ne méconnaît l’importance de la sexualité.
L’Imam Al-Ghazâlî, philosophe soufiste, érudit, né en Iran aux environs de 1058 (450 après l’Hégire), souvent cité en référence, est l’auteur de nombreux textes fondateurs, remarquables d’intelligence et de tolérance. Il affirme : « L’homme devrait honorer son épouse au moins une fois tous les quatre jours. C’est plus équitable. Car le nombre d’épouses pouvant aller jusqu’à quatre, il est permis de retarder l’acte sexuel au plus jusqu’à quatre jours. Oui, il faut que l’époux accomplisse l’acte plus ou moins souvent, en fonction des besoins de son épouse pour qu’elle puisse assouvir son plaisir et préserver sa chasteté. Préserver la chasteté de son épouse est un devoir pour l’homme ».http://www.ghazali.org/
Maintenant, il y a une certaine distance entre le discours philosophique des érudits et les directives qu’on cherche à appliquer au peuple ! Ainsi, rencontre-t-on fréquemment un discours populaire véhément, épique, propre à exalter la quête d’idéal. La chasteté, outil de régulation des comportements est censée protéger les gens contre leurs propres désirs: dépravation, décadence, et péché. Elle est aussi un moyen de libération, l’homme s’affranchit de ses passions et de ses vices, et, ce faisant valide son ticket pour le paradis…La chasteté est donc une promesse de propreté et de pureté de la foi. Elle est une voie de perfectionnement qui contribue à renforce l’honneur voire la grandeur de l’homme. « Ainsi, les âmes se fortifient pour rester toujours dans l’accomplissement des beaux actes et des comportements élevés qui poussent à avoir de bonnes conduites et de bonnes qualités, ainsi qu’à s’élever au-dessus des choses insignifiantes et du déshonneur. »
La volonté de contrôle des jeunes et des couples
Les grands rassemblements papolâtres, l’engagement et la véhémence des jeunes musulmans intégristes de conversion récente, rejoignent non sans ironie, une mouvance d’origine américaine, qu’on pourrait considérer comme une émanation des groupes dits « néoconservateurs ».
Si les points de départ sont différents, les conclusions se rejoignent sur l’obligation de chasteté.
Aux discours prenant appui sur la foi succèdent des propos qui veulent justifier leurs prescriptions par des « preuves » scientifiques. Les objectifs sont énoncés sans ambiguïté :« Nous voulons parler de la sexualité, telle qu’elle devrait être : belle et pure. Nous souhaitons nous adresser principalement aux jeunes. Nous voulons aussi faire réfléchir les adultes. Nous désirons sensibiliser les parents, former des intervenants et influencer ceux qui décident des programmes de santé et d’éducation en matière de sexualité.»
La cible est clairement identifiée : les jeunes.
Il convient de les encadrer, de leur donner des idéaux, et de canaliser leur énergie… L’auteur poursuit:« Nous enseignons l’abstinence en dehors du mariage. Nous croyons qu’il est important qu’un couple s’engage en se mariant avant d’avoir des relations sexuelles. Nous appuyons nos opinions sur de nombreuses recherches qui démontrent que les personnes qui suivent ces conseils sont en meilleure santé physique et mentale.»
Voilà une information de la plus haute importance, la vie sexuelle avant le mariage serait-elle une menace pour la santé mentale ? Le problème, c’est que même une exploration exhaustive du site et de ses liens n’a pas permis de trouver la trace de ces « nombreuses recherches » et encore moins des prétendues preuves.
Ce mouvement, créé par le Dr Michel Robillard, auteur d’un livre « 12 questions à se poser avant de faire l’amour », s’adresse principalement les jeunes. Les rapprochements avec les préconisations des catholiques en Europe ne manquent pas, il s’y ajoute toutefois une note plus « américaine ». En effet, la morale que préconise le Dr Robillard fait écho aux principes des « néoconservateurs ». Comme eux, il y a une volonté de réagir à la vague de libération sexuelle des années 70, une déception face aux échecs successifs de la politique américaine et son incapacité à dominer le monde. Convaincus que le modèle américain est le meilleur, certains représentants de l’aile droite du parti démocrate, ont rejoint les rangs des républicains dans les années 70-80. Le mouvement néoconservateur est né, il se distingue des conservateurs traditionnels par une politique volontariste, notamment destinée à établir durablement l’hégémonie « bienveillante » des Etats Unis sur le reste du monde.
Non contents d’exporter leur conception de la démocratie, les néoconservateurs visent à imposer au reste du monde leur propre vision de la culture et de la morale. De nombreuses sectes religieuses s’y apparentent, et de nombreux mouvements s’en réclament, en particulier les partisans de l’interdiction de l’interruption volontaire de grossesse.« Nous pouvons éviter les erreurs du passé. » Explique l’animateur de Chasteté-Quebec.com, avant de poursuivre : « Nous ne devons pas craindre le retour d’une éducation axée sur la peur de la sexualité ! En adoptant un discours conservateur dénudé de fanatisme et d’absolutisme, mais aussi de libéralisme excessif, c’est en fait au centre du débat que nous allons nous situer. Aujourd’hui, la décision de vivre selon le principe de la chasteté ne s’appuie pas sur la peur d’être puni par les autorités familiales, civiles ou ecclésiastiques. Il s’agit d’un choix personnel basé sur des motifs raisonnables. »
Mettre son énergie au service d’un dieu, ou d’un idéal, et combattre le mal sous toutes ses formes
Qu’elle soit imposée au nom d’une religion ou d’une science, la chasteté est toujours présentée comme un idéal de vie, et un combat contre le mal.
Les religieux combattent le péché, la débauche, le désordre, avec pour objectif de vivre en accord avec les exigences de son dieu, ou plus précisément de ceux qui parlent en son nom. La chasteté plait à Dieu, c’est du moins ce qu’on peut conclure des affirmations du père Daniel Ange :
« L’Eglise n’est jamais contre un certain mode de relation sexuelle, elle est pour l’amour. Puis, le saint homme explique que la sexualité est un chef d’œuvre de Dieu et qu’à ce titre, le rôle de l’Eglise est de la protéger …En interdisant de s’en servir ? Partiellement oui ! C’est que l’Eglise, si elle veut recoller le corps à l’âme, distingue cependant l’amour du sexe…
« Vivre une relation amoureuse dans la chasteté permet à l’amour d’aller beaucoup plus profond, et donc de rester d’autant plus fidèle. Des relations sexuelles précoces court-circuitent un cheminement amoureux en profondeur. Les centaines de milliers de jeunes qui aujourd’hui choisissent, parfois publiquement, de vivre la chasteté jusqu’au mariage laissent ainsi à leur amour la possibilité de s’affiner en mille délicatesses. »
Il a toutefois été impossible de savoir avec précision le nombre d’engagés volontaires sur le chemin de la chasteté, encore moins la proportion sur l’ensemble de la population.http://www.catholique.org
Mais, religieux ou laïques s’accordent pour désigner le péché : les infections sexuellement transmissibles, sont alors présentées comme le salaire punitif d’une vie sexuelle illégitime… Et chacun de brandir la menace du sida, de semer le doute sur l’efficacité des préservatifs, et donc de conclure que la chasteté est la meilleure réponse…
Le mal, c’est aussi et surtout la notion d’impureté, ainsi l’Eglise condamne-t-elle les homosexuels tout en distinguant deux cas, la perversité et la tendance. Le premier cas est un grand péché, le second un moindre, ce qui fait la différence c’est l’intention. L’homosexuel dit pervers assume activement, tandis que l’autre subit sa différence. Le discours officiel veut que l’homosexualité ne soit pas créée par Dieu, mais résulte d’un parcours de vie difficile. L’idée c’est que la personne a subi un traumatisme ancien suscitant des blocages inconscient qui l’empêchent de se rapprocher de l’autre sexe… Merci Freud !
Mais, la chasteté va régler le problème une fois encore, et ce d’autant mieux qu’elle sera un chemin de souffrance : « Une personne qui a une tendance homosexuelle mais qui la vit dans la chasteté ne commet aucune faute aux yeux de l’Eglise, elle en est membre au même titre que les autres avec bien sûr l’accès aux sacrements. D’autant plus que la grande partie de ceux qui ont cette tendance le vivent comme une épreuve et une souffrance, et méritent compassion et respect. »
Ces discours ne peuvent qu’interpeller les jeunes en quête de reconnaissance, d’identité, d’idéal, il semble cependant qu’il y ait un certain décalage entre l’idéal de chasteté et sa mise en œuvre réelle. La distinction réelle/virtuelle ne s’applique-t-elle pas aussi à ces choix individuels ? La véhémence des prédicateurs de la chasteté est-elle une réponse à des comportements réels ou imaginaires ? Et la déferlante des engagements n’est-elle qu’un vœu pieux ?
À suivre très prochainement…