L’intimité renvoie à quelque chose d’intérieur, de profond, de confidentiel comme peut l’être la confrontation avec sa conscience, le partage d’expériences fortes heureuse ou douloureuses comme une naissance, une douleur ou un deuil. Le partage d’espaces restreints comme peut l’être la chambre à coucher, fait aussi partie de l’intimité. La vie privée, le cercle restreint d’amis intimes se distingue de la vie publique et des relations sociales. Ce caractère privé ou très partiellement ouvert à d’autres, évoque à son tour le secret de ce que l’on cache: pensées, fantasmes s’inscrivant parfois en rupture avec la morale, la mode, la vertu, et tout ce qui de près ou de loin relève de l’ordre établi.
Si on est généralement d’accord pour se reconnaître libre de penser, ou de cultiver une sphère intime en soi, on sélectionne ce que l’on exprime afin que cela soit conforme à une norme en vigueur dans le contexte où l’on vit. L’intime trouvait jusqu’alors refuge dans la pensée, les relations affectives et la sexualité. Or, les choses ont changé… Réduire l’intimité au secret de l’alcôve ne suffit pas, mais c’est pourtant par ce biais que sa disparition brutale s’impose comme une réalité flagrante.
- Les pratiques érotiques sont dévoilées à grande échelle,
- L’exposition obscène des corps dépasse très largement le cadre traditionnel de la pornographie pour envahir l’espace public.
Cela ne veut pas dire que l’on soit dans une tendance au dévoilement et à l’expression d’une authentique volonté de liberté sexuelle. Au contraire, et aussi étrange que cela puisse sembler, plus on se montre, plus on se croit libre de ses faits et gestes sexuels et corporels et plus on s’enferme dans un réseau de contraintes hautement liberticides.
La sexualité humaine est un thème de prédilection, qui fait peur, qui fait plaisir, qui fait vendre, qui fait parler sur des registres allant du scientifique, au populaire en passant par le politique, le juridique et le social : il est donc possible d’accommoder le sexe à toutes les sauces médiatiques et aujourd’hui, ce serait l’abstinence: car les français auraient de moins en moins de relations sexuelles. Ce qui ne veut pas dire se priver de son sexe…
L’information ne menace pas l’intime
Il est possible de parler explicitement de la sexualité, de montrer des représentations des organes sexuels pour informer, c’est ce que font nombre de media, des revues les plus populaires aux fascicules destinés à informer le public et que distribue l’administration. Ces informations sont à la portée de tous, y compris des plus jeunes, et ne menacent en rien l’intimité: en effet il ne s’agit que d’information et non d’éducation sexuelle. Cette dernière se fait toujours de façon plus informelle et n’utilise pas le même vocabulaire. Quand on confond information et éducation, cela contribue à rendre sulfureux des propos pourtant empreints de la neutralité aseptisée d’un discours se réclamant de la Science. L’image d’un sein ou d’un sexe devient obscène…donc censurée.
La confusion apparaît mieux quand on observe que, malgré une information abondante, qui met en garde les jeunes contre les IST et surtout le SIDA, ces derniers n’adoptent pas systématiquement des conduites prudentes. La contraception fait également partie de cette information sexuelle, pourtant, il semble qu’elle ne soit pas toujours bien comprise si l’on en juge par le nombre toujours important d’IVG. Elle semble même être paradoxalement privilégiée à la pilule. L’information ne suffit pas à formater les comportements, c’est l’éducation qui s’en charge et participe de la disparition de l’intime.
Beaucoup de jeunes s’interrogent sur le «comment» de la sexualité, et ne trouvent pas de réponse dans les informations, où alors très peu. Même si l’on connaît l’anatomie et la physiologie sexuelles, cela ne donne pas le mode d’emploi. Comme l’apprentissage s’appuie sur l’observation, l’imitation, et les travaux pratiques, beaucoup cherchent des modèles dans la pornographie qui montre les pratiques sexuelles d’une façon qui ne correspond pas à la réalité mais s’y substitue. Le spectateur oublie bien vite qu’il s’agit d’une représentation et non d’une réalité, et s’il n’a pas recours à d’autres sources d’apprentissage ou de référence, il reconnaît le langage pornographique comme «éducatif».
Une part du succès de la pornographie tient au fait qu’elle présente les pratiques sexuelles d’une façon simpliste, mécanique, un peu à la manière de l’information sexuelle qui se limite à la description. La pornographie se différencie par son caractère racoleur et permissif qui met en avant le plaisir immédiat, la jouissance facile. Le spectateur se trouve d’emblée impliqué dans l’action: par son regard il fait intrusion dans l’intimité d’un couple, et, loin de la scène il continue d’y participer s’il se masturbe en même temps. Sans le regard du spectateur, il n’y a pas de pornographie. L’information sexuelle pour sa part n’incite guère aux travaux pratiques car elle met en exergue les risques et non les plaisirs. Mais la quête de l’explicite est commune.
Disparition de l’intime: tout montrer, tout voir, tout savoir, le mythe de la transparence.
Hantés par la crainte de l’ombre, de l’inconnu, de l’étrange et de l’étranger , nous cherchons obstinément la lumière qui rassure et fait apparaître les objets de peur, sous un jour, qui les neutralise. La tendance sociétale actuelle favorise le cloisonnement, le repli: l’interaction avec le monde est soit offensive, soit défensive, rarement coopérante. Tout est bon pour mettre en exergue les différences, à commencer par celles qui distinguent les hommes des femmes. La mixité sexuelle est de plus en plus remise en cause, un espace public d’où les hommes seraient absents ne semble pas choquant. Réponse étrange à une situation qui ne l’est pas moins, c’est dans le dévoilement intégral que l’on croit trouver l’apaisement. L’espace privé, l’intérieur serait traditionnellement un territoire féminin, d’après les interprétations fortement androcentrées qui ont prévalu depuis des siècles et ceci quel que soit le domaine de recherche. En faisant intrusion dans la sphère intime, en l’exposant au regards de tous comme se complaisent à le faire nombre de media, on ne contribue nullement à l’épanouissement des destinataires, contrairement à ce que promettent les bonnes intentions: information, libération, éducation… La transparence est une illusion, on ne peut jamais avoir l’absolue certitude de tout savoir sur un thème, ou pire sur une personne, ce qui n’empêche pas de s’en réclamer, de chercher à l’atteindre. Cette parfaite visibilité se pare de toutes les vertus, on ne cache rien, on est prêt à répondre de tous ses actes, de tous ses choix et cela quel que soit le contexte.
Pourtant, chercher à atteindre la transparence sur la sexualité n’aboutit qu’à une destruction systématique de l’intime ce qui ne joue pas en faveur de l’épanouissement. Mais ose-t-on vraiment tout montrer? Certainement pas, ce qui est exposé se doit de répondre à des critères en rapport avec l’esthétique et la vertu alliées, définissant une norme. Le dévoilement total de la sexualité n’apaise pas les peurs, mais les révèle ou les attise, et n’apporte d’autres réponses que des critères de valeur qui renvoient chacun à s’interroger avec anxiété sur sa propre normalité, chacun(e) exhibant ce qui l’angoisse…
C’est que la sexualité n’est pas un objet que l’on pourrait disséquer, afin d’en comprendre les mécanismes sur le seul plan de l’efficacité. Il s’agit avant tout de processus relationnels qui se déploient sur de multiples niveaux de sens. Les organes sexuels ne se limitent pas à leur fonction de reproduction ou de jouissance ce qui semble être le cas aujourd’hui. On a trop oublié qu’ils sont de véritables organes de communication dont chacun peut apprendre à tirer le meilleur s’il ose s’impliquer dans l’interaction. Les acteurs de la sexualité sont des personnes et non des pantins bien que l’on puisse en douter au vu des nombreuses manipulations auxquelles ils (et surtout elles) sont soumis. Or, le discours sur la sexualité se cantonne sur le registre de l’utilitaire ou du politique et fait totalement abstraction du sens et du message. Il s’agit d’une réduction simpliste qui justifie des moyens simplistes pour atteindre des buts qui reflètent davantage des illusions que de réalités.
Intimité et liberté…
Il est généralement admis que la vie privée n’appartient qu’à soi et qu’on est libre d’y faire ce que l’on veut. Pourtant, l’évolution des mœurs dans sa quête pudibonde de transparence, son obsession à tout montrer, tend à exposer l’intime quitte à le détruire. Etaler sa vie intime surtout si elle a été douloureuse aura-t-elle un effet cathartique ou autre?
Mieux encore, l’exposition volontaire de soi passe pour le «nec plus ultra» de la liberté individuelle. Il suffit d’observer les médias pour constater que chacun s’y dévoile à qui mieux mieux. Il permet d’afficher un message décrivant son activité en cours, comme il permet de «partager» l’information avec de très nombreux «amis». Bien sûr, chacun peut accommoder son image pour se rendre plus visible, et rapidement étoffer son réseau, mais il reste que toutes ces indications peuvent être stockées, analysées et utilisées sans qu’ensuite il soit possible d’y avoir accès. Ce qui auparavant relevait du privé, appartient désormais à l’espace public sans qu’il y ait eu de contrainte exceptées celles de la tendance en vigueur forte d’une majorité de partisans.
Ces comportements ne relèvent pas seulement d’un narcissisme exacerbé, ou d’un individualisme forcené comme il est de bon ton de l’affirmer. On peut y voir aussi une dérive de l’usage de soi, on se perçoit comme un «bien» et il devient alors possible de se traiter comme un objet matériel et mécanique, un produit que l’on offre au plus offrant. L’importance accordée à l’image est telle qu’elle mérite beaucoup d’efforts pour ressembler à ce que l’on veut montrer. Quand le résultat est atteint, reste à acquérir l’approbation ou la désapprobation des autres, mais dans tous les cas retenir leur attention. Dans ces conditions les jardins secrets ne peuvent que s’étioler privés de l’intimité nécessaire à leur plein épanouissement ou à leur réparation lorsqu’ils ont été squattés. L’érotisme, qui se fonde sur l’imaginaire, le transgressif, la culture de l’intime, est à son tour menacé de disparition faute de disposer d’un environnement propice à sa survie.
La liberté vis-à-vis du sexe révèle la place réelle de l’humain dans son milieu : quelle importance lui est consentie et comment ses comportements sont évalués. Dans un monde que domine la peur, le besoin de sécurité évince donc tous les autres à commencer par l’aspiration à la liberté, il n’y a donc plus de place pour l’intime, le secret, le privé. Plus besoin de vidéo-surveillance, elle est étalée au vu et au su du monde entier.
Vous souhaitez consulter: sexothérapeute, hypnothérapeute, thérapie de couple
- Si ces articles vous intéressent et vous plaisent, merci de les partager.