Le fétichisme (1ère partie)

Quand une partie du corps, ou un objet qui l’évoque se charge d’une symbolique amoureuse, et devient indispensable à l’activité érotique, on parle alors de Fétichisme. Dans L’enfance d’un chef, Jean-Paul Sartre écrivait : » Tout peut être objet de désir sexuel, une machine à coudre, une éprouvette, un cheval, un soulier. » Le fétichisme nous renvoie au culte et à l’adulation.Le fétichiste sexuel transforme un objet en objet de culte, si celui-ci le renvoie à une expérience érotique. Le monde de la mode comme celui des tribus dans les sociétés post modernes font appel à des codes fétichistes, c’est pourquoi nous vous proposons d’examiner de plus près le phénomène à travers définitions, histoire, références, témoignages, en passant par les grands « classiques » du fétichisme : chaussures et vêtements, sans oublier le mouvement gothique dont les codes vestimentaires et le travail corporel interpelle autant la réflexion que la sensualité.

Qu’est-ce que le Fétichisme ?

Le mot « Fétichisme » apparaît pour la première fois en 1760 sous la plume de Charles de Brosses (1709-1777) dans son ouvrage Du culte des Dieux Fétiches  ou il compare ceux de l’ancienne religion de l’Egypte avec les pratiques cultuelles de l’Afrique. Fétiche, vient du portugais « feitiça » mot qui désigne un objet magique bienfaisant ou malfaisant.

C’est Diderot qui va ensuite officialiser l’existence de ces mots dans le dictionnaire de l’Encyclopédie.

Le fétichisme renvoie donc à un culte, qu’il soit spirituel ou sexuel ou les deux. L’objet fétiche représente la divinité et permet aussi de communiquer avec elle, il est à la fois symbole et médium, et cette fragmentation réduit le danger réel ou supposé d’une interaction directe avec la divinité.

Dans le fétichisme sexuel, cela se passe un peu de la même façon, le fétichiste s’adonne à son fantasme, mais la présence d’un ou d’une partenaire n’est pas nécessairement requise, la possession et l’utilisation de l’objet fétiche suffit à apporter une excitation parfois même suffisante pour arriver à l’orgasme…

Voilà notamment pourquoi le fétichisme sexuel a longtemps été classé comme une perversion. Le but procréatif de la sexualité imposé par la religion ne pouvait en effet tolérer ni les pratiques masturbatoires ni les cheminements ludiques, et encore moins l’association des deux !

Fétichisme et perversion

En 1816, Charles Fourier (1772-1837), plus connu pour ses engagements politiques (utopie socialiste) que ses réflexions sexologiques, établit la liste de ce qu’il nomme les manies sexuelles dans un livre intitulé Le nouveau monde amoureux. Charles Fourier rejette l’expression de « déviation sexuelle », il invente à la place celle de « pervers polymorphe » qui fera plus tard les délices de Freud. 

Le fétichisme a été longtemps considéré comme une perversion sexuelle, Le médecin allemand Kraft Ebing (1840-1902), le classait ainsi. Pourtant, à la même époque, d’autres sexologues, ont relativisé cette évaluation, et cherché à redéfinir les frontières du normal et du pathologique. Il s’agissait, entre autres, de cesser enfin d’exclure de la société des gens dont la sexualité s’exprimait différemment des normes pudibondes en vigueur: les homosexuels et bisexuels, pour ne citer que les plus connus. Le psychiatre Magnus Hirschfeld (1868-1935) et le médecin anglais Havelock Ellis (1859-1939), ont beaucoup contribué à cette redéfinition de la perversion. À propos du fétichisme, Havelock Ellis écrit :  » les phénomènes du symbolisme érotique sont ceux qui sont le plus spécifiquement humains « .

JM LoDuca définit le fétichisme comme « une perversion sexuelle dans laquelle une seule partie du corps (cheveux, seins, mains ou pieds.) ou une seule partie de l’habillement à l’exclusion de toutes les autres déclenche le désir sexuel. »

Il y a perversion quand une dépendance s’installe

C’est le caractère exclusif du fétiche qui justifie qu’on le qualifie de «perversion». C’est quand on devient dépendant de la présence du fétiche qu’on entre dans la perversion. 

En examinant les choses de plus près, on s’aperçoit qu’on est tous plus ou moins fétichiste.

Hétérosexuel ou homosexuel, hommes et femmes, tous égaux devant leurs fétiches ! Il semble même qu’aujourd’hui en Europe, la tendance soit à libérer l’expression fétichiste, dans ce qu’elle a de plus alléchant comme de plus sordide.

Vers une redéfinition de la perversion

Philosophes et artistes soutiennent la réflexion sexologiques et, à l’instar de Georges Bataille (écrivain) de Salvador Dali (plasticien), ou de Maurice Heine réhabilitent l’œuvre de Sade en mettant l’accent sur sa dimension contestataire son rejet des idées reçues et autres contraintes sociales et religieuses, et sa volonté de redéfinir les frontières érotiques.

Le cadre conceptuel se précise avec les travaux d’Alfred Binet (1857-1911), qui voit le fétichisme sexuel comme une sorte de culte religieux. Il établit un lien entre le fétichisme et les cultes monothéistes : en effet, le fétichiste focalise sa dévotion sur un objet séparé du tout. L’adorateur des pieds ou des chaussures ne s’intéresse pas aux cheveux, il voue un culte exclusif à l’objet élu comme fétiche.

Alfred Binet écrit : « Le fétichisme amoureux a une tendance à détacher complètement, à isoler de tout ce qui l’entoure l’objet de son culte et, quand cet objet est une partie d’une personne vivante, le fétichiste essaie de faire de cette partie un tout indépendant. »

Fétiche et fantasme

Toujours selon Alfred Binet, le fétichisme sexuel s’actualise à deux niveaux, l’un mineur, peu élaboré ou simplement latent , c’est ce fétichisme auquel il se réfère quand il affirme: « tout le monde est plus ou moins fétichiste en amour et il y a une dose constante de fétichisme dans l’amour le plus régulier. » L’autre niveau, plus complexe reflète l’univers fantasmatique du fétichiste. Alfred Binet a parfaitement saisi le caractère abstrait du fétichisme car il a su lire entre les lignes sans s’arrêter aux premières apparences. 

Contrairement à ce que l’on croit encore, le fétichiste n’est ni dans l’incapacité de capter les signes de la communication amoureuse ni réduit à les rassembler en un objet, plus aisé à manipuler, même si son comportement peut être décodé de la sorte. On y voit plutôt l’expression d’un monde fantasmatique intérieur, unique, individuel, souvent d’une extrême richesse créative.

Fétichisme et fantasmes se répondent car ils sollicitent l’imaginaire. Le fantasme échafaude  une mise en scène, une histoire, rassemble des images, des sensations, il déclenche et accompagne le désir, conduit à la jouissance. Les objets fétiches sont autant de points de repère dans le déroulement du fantasme, ils balisent les sentiers de l’imagination et permettent de concentrer l’attention sur les détails les plus érotiques. 

Comment devient-on fétichiste ?

C’est encore à Alfred Binet que l’on doit l’hypothèse du « premier événement vécu » associé à une excitation sexuelle et qui devient ensuite une référence, un déclencheur érotique. Cette idée fera son chemin…

Dans un article de 1927, Freud expose son point de vue, pour lui, le fétichisme est masculin, il vient pallier l’angoisse de castration qui ne manque pas de surgir lorsque l’enfant (de sexe masculin) constate que sa mère n’a pas de pénis. Décidément, ce brave homme avait bien du mal à intégrer l’existence même de la féminité. Freud s’étonne que les fétichistes qu’il a observés trouvent du plaisir à adorer leur objet car il pense que ce comportement caractérise les sujets immatures au plan affectif, anxieux, manquant de confiance en soi. Seule la cure psychanalytique pouvait les remettre sur le droit chemin d’une sexualité adulte.

Freud précise : « Il n’est probablement épargné à aucun être masculin de ressentir la terreur de la castration lorsqu’il voit l’organe génital féminin. Pour quelles raisons cette impression conduit-elle certains à devenir homosexuels et d’autres à se défendre par la création d’un fétiche, tandis que l’énorme majorité surmonte cet effroi cela, certes, nous ne pouvons pas le dire. » 

Freud explique comment se construit le fétiche et pourquoi certains « objets » sont privilégiés :

« Dans l’instauration d’un fétiche, il semble bien plus que l’on a affaire à un processus qui rappelle la halte du souvenir dans l’amnésie traumatique. Ici aussi l’intérêt demeure comme laissé en chemin; la dernière impression de l’inquiétant du traumatisant en quelque sorte sera retenue comme fétiche. Ainsi si le pied ou la chaussure ou une partie de ceux-ci sont les fétiches préférés, ils le doivent au fait que dans sa curiosité le garçon a épié l’organe génital de la femme à partir des jambes; la fourrure et le satin fixent – comme on le suppose depuis longtemps – le spectacle des poils génitaux qui auraient dû être suivis du membre féminin ardemment désiré; l’élection si fréquente des pièces de lingerie comme fétiche est due à ce qu’est retenu ce dernier moment du déshabillage, pendant lequel on a pu encore penser que la femme est phallique. Mais je ne veux pas affirmer qu’on peut chaque fois parvenir à connaître avec certitude la détermination du fétiche. Il faut recommander instamment l’étude du fétichisme à tous ceux qui doutent encore de l’existence du complexe de castration ou qui peuvent penser que l’effroi devant l’organe génital de la femme a une autre base qu’il dérive, par exemple, du souvenir hypothétique du traumatisme de la naissance. »

Certains psychanalystes contestent à juste titre l’exclusivité masculine du fétichisme. Il faut se souvenir que le fétiche joue un rôle à la fois de représentation et de médiation.

Dans l’adoration de l’objet, il y a une gratification narcissique. À ce titre, on peut donc considérer comme fétichistes les comportements envers la mode. Quand on s’applique à suivre la mode, on s’approprie des objets fétiches, vêtements, chaussures, accessoires qui permettent de s’identifier à une idole et de renforcer son bien-être, son narcissisme.

Fétichisme, culte et adoration

Jean Streff dans son ouvrage Traité du fétichisme, évoque un curieux fait divers: « Au fin fonds du Massif Central, un jeune maçon fut arrêté alors qu’il volait du linge mis à sécher sur des cordes. Les gendarmes cherchant à récupérer d’autres pièces dérobées entrèrent dans la minuscule chambre où habitait le jeune voleur, « elle était pleine jusqu’au plafond d’une masse de linge féminin à l’intérieur de laquelle il avait creusé un trou pour s’y nicher. « 

Le poète allemand, Goethe, était connu pour son fétichisme, il écrivait à sa maîtresse Christine Vulpius : « À la prochaine occasion, expédie-moi tes chaussures de bal, bien éculées par tes exploits et desquelles tu m’as écrit qu’elles étaient comme une partie de toi-même que je pourrais serrer contre mon cœur .»

Charles Baudelaire (1821-1867) dédie un poème à la chevelure dans son célèbre recueil Les fleurs du mal. Ces lignes ont-elles inspiré Auguste Renoir lorsqu’il peignit cette jeune femme à l’opulente chevelure en 1894 ?

« Ô toison, moutonnant jusque sur l’encolure !

Ô boucles ! Ô parfum chargé de nonchaloir !

Extase ! Pour peupler ce soir l’alcôve obscure

Des souvenirs dormant dans cette chevelure,

Je la veux agiter dans l’air comme un mouchoir ! »

Première strophe du poème de Baudelaire « La chevelure »

N’importe quel objet pouvant devenir objet d’un culte fétichiste, les rituels varient selon l’imagination et les fantasmes. Ainsi, parfois le fétichiste des cheveux se contente de les toucher, de s’en régaler pour mieux attiser son désir, mais aussi, il peut lui arriver de vouloir les couper pour s’en approprier et s’en servir pour ses plaisirs solitaires. Krafft Ebing, avec une précision toute germanique, cite de nombreux cas de « coupeurs de nattes », certains en possédant des dizaines…

L’adoration du fétiche met en scène toutes sortes de rituels, du simulacre, à l’acte sexuel accompli avec ou en présence de l’objet fétiche.

Certains fétichistes des bas ou des collants, ne se contentent pas d’admirer ceux-ci portés par leur maîtresse, ils veulent également goûter l’ineffable délice d’en sentir la caresse sur leur peau, cela fait partie du jeu.

Il peut être intéressant de comprendre comment s’organise le culte, s’agit-il de revivre une expérience antérieure, quel rôle y joue l’objet, est-il pleinement acteur du fantasme, ou seulement élément de repérage, le rituel nécessite-t-il une ou une partenaire ? S’agit-il d’un objet fétiche qui s’adresse à la vue, l’ouïe, le toucher, le goût ou l’odorat ?

Si l’on veut décortiquer le processus, les axes de lecture ne manquent pas ! 

Le fétichiste est souvent aussi un collectionneur, citons en référence la collection Riquet, qui compte des milliers de paires de bas. Yves Riquet, ingénieur en informatique et grand amateur de bas nylon a gagné le pari de redonner un nouveau souffle au fabriquant de bas « Gerbe » qui s’apprêtait à fermer en 1998 la dernière unité de production des bas nylon « cristal » . La machine qui les fabrique, un monstre de 25 mètres de long pesant près de 40 tonnes est intransportable, qu’à cela ne tienne, Yves Riquet fonde une société de diffusion qui parvient à vendre des milliers de paires de bas nylon… L’affaire est rentable et la collection s’enrichit de nouveaux modèles des plus modestes aux plus prestigieux.

à suivre: les objets fétiches

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Auteur/autrice : Patrice Cudicio

Médecin

Sexualités: Le Magazine de toutes les sexualités

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